Pour un dialogue bénéfique entre les « tribus scientifiques » !
Hommage à Cheikh Anta Diop décédé le 07 Février 1986, chantre du dialogue des sciences
Depuis que j’ai débuté le second cycle au secondaire, cette question revient toujours : « pourquoi tu as choisi la série littéraire ? A quoi ça servira ? C’est pour les faibles ? Les littéraires savent seulement bavarder, ils ne servent à rien. » Poursuivant mon parcours au supérieur, Les mêmes questions reviennent. « Au lieu de faire les mathématiques, informatiques, Biologie, vous faites des sciences humaines. A quoi servent-ils ? Philosophie, Histoire, sociologie… ? » Plus encore, certains parents ont forcé leur progéniture à faire les « sciences dures » parce qu’ils voulaient voire en eux des gens qui auront de l’argent en pratiquant des métiers élogieux. D’autres lorsque vous leurs dites que vous faites les sciences humaines, ils vous rétorquent qu’il n’ya de science que ce qui est matériel et qui peut parvenir à des résultats tout faits et concrets. Cela veut dire, dans leur imaginaire, que toutes ces disciplines qui se disent sciences humaines ne sont que peuplés de « bons bavards ». Voila un préjugé qui hante nos sociétés depuis longtemps et qui, au lieu de prôner une transdisciplinarité, attisent plutôt la division et la hiérarchisation entre les sciences. Comme je le disais, les querelles entre les différentes « tribus scientifiques » sont récurrentes dans nos campus et dans nos lycées. Ces querelles ont pour objectif : dénier la scientificité à certaines sciences parce qu’elles ne sont pas quantifiables et désintéresser le maximum de jeunes vers ces sciences afin qu’ils se tournent vers les sciences matérielles. Ces dernières répondent mieux à notre époque et le matérialisme qui gouverne le monde. On ne veut plus savoir pour résoudre les problèmes sur le long terme mais on veut savoir pour avoir de l’argent, gagner le maximum d’argent. Ce qui fait que dans certaines familles, aujourd’hui, le plus difficile pour un enfant c’est d’arriver en 2nde au secondaire car il devra faire l’un des choix les plus déterminants de sa vie. Il devra choisir entre opter pour les sciences exactes ou les sciences humaines. Même s’il veut choisir les sciences humaines, il est très vide découragé par son entourage proche (famille, amis..) qui veut faire de lui un mathématicien, un informaticien. Bref quelqu’un qui touche les chiffres et qui, en retour, a de l’argent.
Image de Promethée qui est le symbole de la science dans la mythologie Grec
Loin de ces querelles inopportunes, l’avenir de l’Afrique c’est avec la science. Mais ce sera une science dans toutes ces dimensions. Beaucoup de gens parlent du développement, beaucoup de gens parlent des projets de développement en Afrique mais on fait comme si ce développement s’adressait aux robots. Comment envisager le développement dont l’acteur unique est l’homme sans développer au maximum les sciences dites de l’Homme ? Comme Einstein, comme Cheikh anta Diop, la science est toute discipline qui permet de produit un savoir nouveau et qui favorise l’épanouissement de l’Homme et l’avancement de la société. Le savant Africain Cheikh Anta Diop est un physicien. S’il était comme certains de mes camarades de physique, il devait dire « l’histoire ne me sert à rien. Je suis physicien. » Mais il a utilisé la physique pour retracer le passé de l’Afrique. Il a utilisé la physique pour prouver au monde que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Aujourd’hui, ils sont nombreux qui font des sciences humaines, des sciences sociales. Au lieu de se quereller comme on l’observe, de se diviser et de s’hiérarchiser, les sciences doivent être en contact entre elles. Elles doivent se compléter même si parfois elles n’ont pas les mêmes canons méthodologiques. Le jeune sociologue, le jeune historien doit travailler avec le physicien, le chimiste, le biologiste, le généticien pour produire un savoir qui se fait et qui est susceptible d’être remis en cause. Un savoir qui épouse les aspirations des sociétés et qui donne des solutions aux hommes et femmes des sociétés concernées. Le drame du Cameroun est justement qu’il n’ya pas ce dialogue des sciences. Chacun est spécialiste de son domaine et parfois même de son micro domaine. Poses-lui une question sur un micro domaine du grand domaine, il vous dit qu’il est spécialiste de son micro domaine. En plus, beaucoup de mes frères camerounais se trompent souvent lorsqu’ils disent que ce dont on a besoin ce sont des économistes, des ingénieurs et autres. Bref, ceux qui ont fait une formation dans le domaine des sciences exactes. Ce dont on a besoin, ce sont des « bons » philosophes, de bons mathématiciens, de bons économistes, de bons historiens qui travaillent avec un seul but : faire avancer la société dans laquelle ils vivent. Voila la science. Mettre en contact la matière et l’esprit au quotidien pour voir ce qui ne va pas et proposer ce qui doit aller. Je comprends que la dictature du positivisme et du capitalisme fasse que nous fermions les yeux sur ces aspects essentiels pour un peuple. Pour avancer, l’homme a certes besoin de domestiquer la nature mais avant de la domestiquer, il doit se connaitre, connaitre ses semblables afin de domestiquer cette nature pour son intérêt et celui de ses semblables.
Cheikh Anta Diop, modèle par excellence du dialogue entre les sciences.
Donc, loin des querelles byzantines qui font les choux gras des discussions entre jeunes chercheurs, ces derniers doivent dialoguer, échanger ensemble. Que ce soient les sciences humaines, que ce soient les sciences exactes, l’essentiel est de produire le savoir afin que les hommes et les femmes qui vivent dans la société puissent en être bénéficiaires et être libérés. Voila à mon avis, la science. Rien d’autres.
NB:
Nous empruntons le terme « tribu scientifique » à Jean Marc Ela dans son essai intitulé L’Afrique à l’ère du Savoir : science, société et Pouvoir, Paris, l’Harmattan, 2006.
Je dédie ce billet à tous les héritiers de Prométhée, tous ceux qui, à traves la science, participe à la libération de l’Homme à travers leur instruction depuis Prométhée lui-même jusqu’aux jeunes de mon temps en passant par Einstein, Cheikh Anta Diop, Ki-Zerbo, Jean Marc Ela, Eboussi Boulaga, Edward Glissant, Mudimbe, Glissant, Achille Mbembe, Mamadou Diouf.
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