L\'Afrique peut!

L\'Afrique peut!

«Nous » et « eux » : au sujet du provincialisme qui hante les peuples

 

Le discours sur l’autre a toujours été un discours conflictuel compte tenu de la relation parfois incestueuse que les uns entretiennent avec les autres.  Je tenterai ici de revisiter ces discours sur l’autre partant de la période coloniale à nos jours. Je m’appuierai sur des textes pionniers  et mon expérience personnelle pour montrer comment nous sommes parfois tentés à fabriquer l’autre à notre convenance tout en mettant en perspective le monde qui vient comme étant fondé sur le respect des différences.

 

 

Crédit image: harakiri.ca

 

Provincialisme à travers l’Histoire


La spécificité de la colonisation est qu’elle était un système bien ficelé à tous les niveaux. Le discours y occupait une place très importante. En fait dans la suite logique de la négation de l’autre, il fallait construire un discours sur « l’autre » pour lui retirer son appartenance humaine afin de mieux le piller. C’est le début du discours sur l’autre. Des termes comme  « ethnie », « barbare » ; des sciences comme l’ethnologie firent leur apparition.  Ce discours disait tout, sauf ce qu’était réellement « l’autre ». L’autre dans ce contexte c’était le nègre, c’était l’oriental, c’était l’indien. « Puisqu’ils sont différents de « nous », ils sont moins que nous, ils sont inférieurs à nous et nous devons leur imposer nos manières de voir le monde. Ce sont des civilisations inférieures et barbares et notre mission, en tant que civilisation supérieure, c’est de leur apporter la civilisation disait un Homme d’Etat Français ». C’est ce discours qui a prévalu et a permis aux occidentaux de subjuguer une grande partie du monde.

 

Dans l’orientalisme, Edward Saïd le signifie très bien quand il montre comment le terme orient a été inventé par  l’occident et s’en est suivi un discours exotique sur « l’Orient ». Bref, ils disent tout ce que nous ne sommes pas sans jamais dire ce que nous sommes (Jérémy Piolat). L’objectif étant bien sur de nier l’appartenance Humaine des autres. C’est la raison pour laquelle toute une entreprise a précédé l’épisode de l’esclavage. Que ce soient les textes de Hegel au sujet du nègres ou encore l’expédition de Napoléon en Egypte avec Champollion.  L’épisode esclavagiste et colonial marque le début du discours odieux et déshumanisant sur l’autre. C’est un discours qui ne s’est pas estompé avec la décolonisation, malheureusement. Il y’a eu décolonisation dans les papiers mais dans les faits, il n’ya pas eu reprise en main de leur destin par les peuples colonisés. Il n’ya pas eu « réécriture de soi ». Le discours sur l’autre s’est absenté sans disparaitre. Il s’est métamorphosé et a pris une nouvelle forme.

 

« Nous » sommes le nord et « eux » sont le sud. Ils sont sous développés, ils souffrent, il faut les aider, il faut leur apporter une assistance. Voilà le discours qui a succédé à celui de la colonisation. Des concepts ont accompagné cette différenciation et cette rupture entre deux mondes. On peut citer ici les termes comme « sud », « nord », « développé », « sous développé »… pour manifester cette différenciation et ces clichés vis-à-vis de « nous » et des « autres ». Ce discours qui ne reconnait pas la différence mais qui la diabolise est un discours inopportun à l’ère de la mondialisation. Dans certaines sociétés, on a vu les termes comme « anciens établis », « nouvel entrant », « civilisés », « barbares ».  Toute une construction discursive qui traduit cette idée du sociologue Albert Bastenier «les uns (nous) se considèrent humainement meilleures que les autres (eux ), dotés de qualités et de vertus supérieures justifiant leur suprématie (nous) et le refus d’avoir le moindre contact avec les autres qui seraient humainement inférieurs ». Nous ajouterons en disant que, même si contact il y’a, ce serait un contact maitre-esclave, civilisé-barbare, colonisateur-colonisé, développé-sous-développé. Un contact exotique, un contact d’assistance. Mais la manifestation de ce discours ne se fait pas uniquement à l’échelle internationale.

 

Tribalisme : provincialisme à l’échelle nationale


Même à l’échelle nationale, on observe un discours similaire sur « nous » et « eux ». Ce discours se manifeste de plusieurs manières et engendre pas mal de problèmes. Au Cameroun, mon pays d’origine que je connais le mieux, il se matérialise par le « tribalisme ». En effet, c’est une habitude sociale, politique voire économique qui consiste à tout faire uniquement pour son groupe culturel ou son micro groupe culturel sans tenir compte des autres. C’est ainsi qu’on observe des pratiques tels que la discrimination, le favoritisme en faveur des personnes originaires de notre village ou de notre sous village. La dynamique est presque la même : celle du séparatisme, de la division entre nous « les sages », les « beaux » et eux les « bêtes », les « laids ». Les élites font tout leur possible pour s’assurer un maximum de cadets derrière elles et elles usent de tous les moyens contre d’autres groupes culturels. Ce discours tribaliste, ce discours de séparation tient du fait qu’on ne considère pas l’autre comme faisant partie de la même nation que nous.  Le mérite a foutu le camp et place a été laissé aux frères, aux amis, aux camarades du village. Finalement, peu importe sa compétence, puisqu’il n’est pas des « notre », il ne peut rien faire pour nous. Il est un ennemi pour nous. Voila le discours qui est légion dans nos sociétés aujourd’hui tant à l’international qu’à l’échelle nationale. Tout ce discours dénote le désir de fabrication de l’autre selon nos propres convenances afin de le nier ou de le dominer.

 

Le monde qui vient sera fondé sur l’éthique de la rencontre


Malheureusement, c’est un discours qui fait régresser nos sociétés. C’est un discours qui plombe les sociétés à l’heure où seule l’union des forts peut compter. Le discours sur la différence, sur l’animalisation de l’autre parce qu’il est tout simplement « autre » ne peut plus tenir longtemps parce que la diversalisation qui est cette grande rencontre des « altérités » à l’échelle mondiale ne sied pas. Dans nos pays où la « tribu » passe quelques fois avant la nation, où seul le clan familial est gratifié après des nominations aux hautes fonctions, où les uns et les autres privilégient et nomment d’abord leurs « frères du village » aux hautes fonctions même si ces derniers ne sont pas compétents sacrifiant les compétents pour leur origine, dans ces pays, le mal n’est pas loin comme on le prétend souvent, le mal ce n’est plus le père d’hier comme le dit Achille Mbembe, le mal c’est le frère.  Pour sortir de la misère, il faut s’exorciser de ce mal, il faut être compétent et compétitif. Pour être compétitif, il ne faut pas être sorcier mais il faut mettre les bonnes personnes aux bonnes places peu importe ce qu’elles sont, d’où elles viennent, l’essentiel c’est ce qu’elles font. C’est pareil à l’échelle internationale, peu importe l’origine des gens, peu importe leur race, leur appartenance culturelle, l’essentiel c’est l’Homme qui est en eux, c’est la différence qui est en eux et qui est une richesse ; C’est ce qu’elles font pour, chaque jour, faire avancer l’Humanité. La France ne l’a pas encore compris mais les Etats-Unis l’ont compris depuis bien longtemps, les autres peuples de la terre doivent le comprendre et le mettre en pratique parce que l’avenir du monde c’est dans cette richesse qu’est la différence car comme le dit si bien le maitre Achille Mbembe : « le partage des singularités est bel et bien un préalable à une politique du semblable et à une politique du Monde ». C’est le grand fruit des mouvements que l’Humanité a connus même s’ils ont été néfastes pour certains qui ne l’ont ni voulu, ni souhaité. Il leurs revient d’en assumer et d’en fructifier car le monde qui vient sera fondé sur cette valeur qu’est le partage à travers une « poétique de la relation ». Achille Mbembe poursuit en disant : « Le Monde à venir sera fondé non seulement sur une éthique de la rencontre, mais également sur le partage des singularités. L’en-commun a pour trait essentiel la communicabilité et la partageabilité. Il présuppose un rapport de co-appartenance entre de multiples singularités. C’est à la faveur de ce partage et de cette communicabilité que nous produisons l’humanité. »


           A bon entendeur, salut !



17/10/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 31 autres membres