L\'Afrique peut!

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L’HYPOCRISIE EN TERRE CAMEROUNAISE

 

La postcolonie camerounaise se trouve dans une situation politique et sociale marquée par un double langage : les acteurs disent tout sauf ce qu’ils font et font tout sauf ce qu’ils disent. Hypocrisie dont il faudrait décrire et élaborer quelques pistes.

 


L’histoire politique et sociale de l’Afrique a toujours été marquée par un phénomène qui ne fait pas  l’objet d’une attention particulière : l’hypocrisie. On parle de tout mais on n’évoque pas ce double langage, ce fait de dire le contraire de ce qu’on prétend faire et de faire le contraire de ce qu’on dit. Le mensonge ou la trahison qui s’est manifestée pendant la période précoloniale et  coloniale, revêt une nouvelle forme à l’ère postcoloniale. Je ne reviens pas dans ce billet sur la période coloniale mais  plutôt à l’ère postcoloniale pour montrer comment ce double langage a pris une dimension nouvelle dans les habitudes politiques et sociales.

 

Sur le plan politique, il y’a deux faits majeurs sur lesquels je m’arrêterai. Premièrement les textes et les lois juridiques et deuxièmement la démocratie ou la prétendue démocratie. Concernant les textes, la spécificité des régimes africains est qu’ils sont bourrés de nombreux textes juridiques très intéressants et très convaincants mais l’application de ces textes est un leurre. Il existe des textes mais dans la réalité tout est fait pour aller à l’encontre de ces textes. Prenons par exemple le Cameroun, la Loi n° 96-06 du 18 janvier 1996  prévoit en son chapitre II le Sénat mais dans la réalité, ce sénat n’existe pas. Toujours concernant la constitution du Cameroun, le fameux article 66 qui devrait assurer la transparence dans la gestion des affaires publiques est resté lettres mortes. Il faut rappeler que cet article prévoit que tous ceux qui sont en charge à des hautes fonctions publiques doivent  «  faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction ». Mais ça n’a jamais été le cas et nous savons le mystère qui entoure les biens de ces hommes et leurs salaires au début et à la fin de leur mandat. Bien au contraire, ceux qui revendiquent l’application de ces textes sont taxés d’être des troubles à la sécurité publique.  Très souvent lorsqu’on parle de détournement, il y’a certes des malversations mais le bas peuple ne sait même pas de quoi il s’agit dans la mesure où la transparence que prévoit cet article n’est respectée. On peut en citer davantage au Cameroun en ce qui concerne cette hypocrisie constitutionnelle, ce double langage qui plombe la situation et l’empêche de décoller. A coté de cet aspect, il y’a les révisions constitutionnelles qui ont eu un seul but, tailler la constitution sur mesure sans consulter le peuple compte tenu de l’importance et demeurer au pouvoir.

 

Le second aspect politique qui va dans le prolongement du premier et qui est défini par les textes juridiques, c’est la démocratie. La démocratie est, selon nous, la capacité qu’a le peuple de participer à la gestion des affaires de la cité à travers un contrôle qu’elle a sur ceux qui le représentent. La démocratie sur le plan politique admet un multipartisme, une liberté d’expression à travers une presse assez diversifiée et libre en respectant la déontologie du métier, le respect des droits des personnes. Cela suppose aussi des élections libres et transparentes avec des règles de jeu bien définies susceptibles de permettre à tous les acteurs de participer sereinement au jeu. Ce sont les principes mais dans les faits, même s’il y’a une multiplicité de partis politiques, de titres de presse ou d’associations de la société civile, les règles restent bloquées et à l’avantage du pouvoir en place. On peut prendre pour exemple certaines émissions des médias de chez nous où on observe clairement un casting incorrect, des questions tendancieuses et bien d’autres éléments qui montrent  le fossé qui se trouve entre ce qui est proclamé et ce qui est fait. Aussi la répartition de temps d’antenne avant, pendant et après les échéances électorales sur les médias à capitaux publics n’a rien à voir avec ce qui est dit. Par ailleurs la liberté d’expression qui est garantie par notre constitution en son préambule n’est pas une réalité. Il est quasi impossible de faire une manifestation de ras-le-bol contre le régime en place. Très souvent les procédures administratives mettent long et la manifestation est renvoyée aux calendes grecques ou alors comme on l’a observé, il y’a quelques années avec l’ACDIC de Bernard Njonga, les hommes en tenue attendent les manifestations sur place et vous imaginez ce qui vous attend : une nuit hors de chez vous.

 

Pour ce qui est des élections libres et transparentes qui sont l’un des gages de la démocratie politique, le Cameroun est l’un des laboratoires par excellence des élections frauduleuses. Nous n’avons qu’à voir l’avis des observateurs lors de la récente élection présidentielle et surtout le désaccord entre le pouvoir et l’opposition à la suite de cette élection. Plus proche de nous, on a pu constater que certains jeunes camerounais allaient inscrire leurs amis et voter en leur nom alors que ces derniers n’étaient même pas au courant. Les règles de jeu sont de ce fait mauvaises et avantageuses pour le pouvoir en place. C’est une hypocrisie criarde dans la mesure où tout ce qui est fait va à l’encontre de ce qui est dit. Certains juristes disent que le Cameroun est l’un des pays qui a les plus beaux textes en Afrique mais l’application de ces textes pose problème. Cette hypocrisie peut être aussi relevée sur le plan social et dans les habitudes quotidiennes des hommes et femmes camerounais. Enfin, certains hommes publics, intellectuels de surcroit, ont pris la salle habitude de s’ériger en « menteurs publics », prétendant être les amoureux de ce pays et travaillant de ce fait au maintien de la paix et de la stabilité. Alors que très souvent, ils disent des choses dans les médias qui ne sont pas la réalité dans les faits. Vous n’avez qu’à écouter les médias à capitaux publics de notre pays. Un homme politique est même allé jusqu’à dire que le parti au pouvoir était le parti le plus démocratique de notre pays. Quelle aliénation !

 

Sur le plan social, l’hypocrisie camerounaise se caractérise par plusieurs phénomènes. Nous avons dit plus haut que la démocratie était à la fois économique, politique et sociale. Mais nous avons voulu nous arrêter sur les aspects politique et social. Concernant l’aspect politique et social, une bonne démocratie suppose une redistribution effective des richesses nationales. Comme le préambule de la constitution le dit si bien : « L'Etat assure à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur développement ». Pour assurer ces conditions, il faut entre autre que les citoyens aient accès à un certain bien être social, à des conditions de vie abordables. Mais la réalité est toute autre. Avec la flambée des ministres détourneurs de fond, des criminels financiers comme nous le disent les thuriféraires du pouvoir, on se rend bien compte que cet Etat, au lieu de respecter les textes, donnent juste la possibilité aux plus riches de s’enrichir et au plus pauvre de s’appauvrir. Comment un gouvernement  peut-il détourner autant d’argent et qu’on parle de redistribution des richesses ? En plus, on se rend bien compte qu’au Cameroun, la société est toujours aussi stratifiée entre les ministres, hauts fonctionnaires qui bâtissent des châteaux et donnent des hautes sommes pour les cotisations du parti, les hommes d’affaires qui sont riches légitimement ; ensuite vient la classe moyenne constituée des fonctionnaires moyens qui travaillent au quotidien, les commerçants et autres corps de métiers ; enfin au bas de l’échelle, il y’a ceux qui souffrent véritablement n’ayant même pas de domicile, ils sont obligés de se coucher dans les rues et quémander de l’argent aux passants. Ces derniers vivent dans un dénuement total ayant parfois des diplômes pour travailler mais à cause d’un certain régionalisme, du patrimonialisme, du clientélisme, de la corruption et des détournements du « haut », ils n’ont pas accès à ce travail. En plus, l’un des éléments indispensables à notre époque pour l’émergence des populations, c’est certainement l’électricité. Mais dans certaines villes du Cameroun, il est difficile d’avoir accès à l’électricité 7 jours sur 7.  Cette dissonance entre le fait et le « dit » est une réalité sociale et plombe davantage notre société. Parce qu’une ville comme Dschang qui est un pole universitaire notoire dans la sous-région et même en Afrique est freinée dans son developpement : les laboratoires, le cyber cafés, et autres activités sont au ralentis.  

Au delà de ces aspects purement étatiques et administratifs, la population, elle-même est hypocrite non pas entre elle mais envers ce que l’Etat lui laisse pour son épanouissement. L’exemple que je vais prendre est celui des bibliothèques et de la lecture. Dans les paroles et les textes, nous savons qu’il y’a des livres et des centres de lectures chez nous. La qualité de ces livres n’est pas à démontrer mais dans les faits, ces livres ne sont pas utilisés. Vous entendrez très souvent des gens dire : «  tous les livres qu’on a lu, qu’est ce qu’on en a fait ? » C’est faux. Ces livres n’ont pas été lus et la plupart ne les lisent pas. Ils manifestent un certain désintérêt pour la lecture, disent qu’ils lisent alors que dans les faits, c’est tout le contraire. Car la lecture d’un livre bouleverse celui ou celle qui le lit et il est très rare de rester indifférent à la suite d’une lecture. Le problème justement est que malgré la présence et la qualité de ces livres qui sont des canaux d’acquisition des savoirs, nous ne les lisons pas mais disons que nous les lisons et que ça n’a rien apporté.

 

Voila autant d’éléments qui attestent que notre « Déclosion » de notre propre enclos n’est pas encore effective car notre discours est toujours marqué par la duplicité et le double langage, bref une hypocrisie qui était, autrefois, l’apanage du discours colonial.

 

L’objectif de ce billet a été de montrer aux jeunes camerounais et africains qu’il y’a des choses qu’on proclame et qu’on condamne mais qu’en réalité, on ne les proclame ni ne les condamne. Que ce soient la démocratie, les textes juridiques, la redistribution des richesses, la culture scientifique et bien d’autres, on tient toujours une posture hypocrite marquée par un double langage. Bref toutes ces choses existent dans les textes, les discours mais restent lettre mortes dans la réalité, dans les faits et c’est cela que j’appelle l’Hypocrisie camerounaise. Il faut donc se libérer de cet état des choses pour répondre aux enjeux de l’heure et mettre sur pied des habitudes, des textes qui seront appliqués dans les faits et poser des actes qui reflètent les textes qu’on a adoptés. Il faut appliquer l’article 66 et mettre sur pied le Senat. Ainsi un climat de confiance sera établi entre les gestionnaires publics et le peuple. Celui-ci se sentira désormais comme un « ayant-droit » et participera à la gestion de la chose publique. En plus les intellectuels doivent faire pleinement leur travail de veilleur, d’éclaireur et d’ouvreur d’imaginaire pour une société qui ne croit plus en rien et qui s’est aussi lancée dans cette hypocrisie. Enfin la jeunesse doit écouter tout le monde mais faire des jugements judicieux et non hypocrites pour ne pas agir comme c’est le cas actuellement. Elle ne doit pas dire quelque chose et faire son contraire. Elle doit dire, chercher et acquérir le savoir pour ne pas tomber dans les pièges de l’Hypocrisie et participer pleinement au developpement de l’Afrique tout entière comme le rappelait si bien Jean Marc Ela : « tout developpement passe par la recherche ».

 

Ulrich K. Tadajeu

 



19/07/2012
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