Maitre Cheikh Anta Diop, tes héritiers te saluent !
7 Février 1986 – 7 Février 2013 : voila 27 ans que le savant Africain Cheikh Anta Diop nous a quittés dans des circonstances encore troubles. Il est un maitre pour nous et nous partageons avec vous ce que nous avons pris de lui.
Cheikh Anta Diop dans son laboratoire à Dakar
J’ai connu Cheikh Anta Diop au supérieur. En effet, après mon inscription à l’Université de Dschang au département d’Histoire en 2009, j’ai reçu un cours intitulé « l’Egypte ancienne ». Ce cours nous a été dispensé conjointement par Dr Fouellefack Celestine et Dr Sarr Nissire de l’Université de Yaoundé 1. L’admiration de notre enseignante à l’endroit de Cheikh Anta Diop a attiré notre attention sur ce monsieur. J’ai de ce fait lu Cheikh Anta Diop et dans ce billet, je partage avec vous ce que je retiens de lui bien sur scientifiquement et qui, à mon avis, est important pour la jeunesse qui fait le futur de l’Afrique.
L’Afrique est le Berceau de l’Humanité
Cheikh Anta Diop est un savant Sénégalais. L’Afrique en a connu peu de son genre. Physicien de formation, il grandit dans un contexte marqué par la domination puis les luttes anticoloniales. Il va très vite se rendre compte de l’immense tache qui lui revient dans la construction de l’Afrique. Il a par ailleurs fait la linguistique. Comme son ancêtre Ibn Khaldum au XIVe siècle, il utilisa toutes les sciences exactes ainsi que les sciences « molles » qu’il a apprises pour réécrire l’histoire de l’Afrique loin des clichés et préjugés de la pensée occidentale héritière de Hegel. C’est ainsi qu’en utilisant l’Archéologie, la datation au carbone 14, il va parvenir à la conclusion selon laquelle l’Afrique est le berceau de l’Humanité. A travers la linguistique, l’anthropologie physique, il parviendra à la conclusion selon laquelle l’Egypte Ancienne était nègre et que l’Afrique est le berceau de la civilisation qui s’est développée depuis cette période. Ainsi, Cheikh Anta Diop, par sa démarche, réussit à convaincre le monde entier que l’Afrique est le berceau de la civilisation humaine et que les anciens égyptiens sont les ancêtres des Africains actuels. D’ailleurs, à la suite du colloque du Caire en 1974, voici ce que Vercoutter déclare : « l'Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser. » Le « Kalos Kagathos » Africain inaugure donc l’ère de la rupture de l’absolu occidentale et de la dictature idéologique héritée de Hegel. Il va en guerre contre une tradition discursive héritée de la période coloniale contenue dans la « Bibliothèque coloniale » qui déniait l’historicité et l’humanité Africaine pour reléguer les habitants de ce continent au rang de « bas hommes » de primitifs ayant une mentalité prélogique et immobile. Laquelle posture idéologique avait pour but de légitimer intellectuellement la mission « civilisatrice » de l’Homme Blanc, « porteur et donateur de la civilisation ». C’est cette audace scientifique, épistémologique voire idéologique qui doit inspirer le jeune chercheur Africain. Ceci doit l’amener à toujours pousser aux extrêmes pour découvrir la vérité car c’est cette vérité historique qui affranchira les hommes : « Le Nègre doit être capable de ressaisir la continuité de son passé historique national, de tirer de celui-ci le bénéfice moral nécessaire pour reconquérir sa place dans le monde civilisé. » Cette audace est identifiable à celle de Promethée qui, dans la mythologie grecque, osa se rebeller, pour voler (contre l'avis des dieux) le Feu sacré de l'Olympe (invention divine symbole de la connaissance) afin de l'offrir aux humains et leur permettre de s’instruire. Cheikh Anta Diop n’a pas volé mais il a creusé et a trouvé la vérité pour permettre aux Africains de se définir en tant que sujet et acteur majeur de l’aventure humaine.
Pluridisciplinarité inaugurale du dialogue entre les sciences
L’autre aspect que je retiens de ce maitre de la science historique est incontestablement la méthode qu’il a utilisée pour confirmer ses hypothèses et les démontrer. Cheikh Anta Diop est connu comme Historien, Sociologue, Anthropologue, Philosophe, linguiste, physicien… il est le modèle par excellence de la pluridisciplinarité et s’en est servir pour écrire une autre Afrique. Cela lui a permis d’être un savant dont les thèses font autorité. A la différence des jeunes de notre temps, il ne s’est pas contenté de dire : « je suis physicien, l’autre est Historien. Ce dernier n’est pas scientifique. » Il a dépassé cela et a utilisé la physique pour servir l’histoire. Il a utilisé toutes les sciences comme un tout sans différenciation ni hiérarchisation. Au delà de la pure pluridisciplinarité, cette facilité à embrasser le divers, le pluriel et la diversité doit être capitalisée par les jeunes de notre temps non seulement dans une vision purement épistémologique mais aussi dans une dimension humaine à l’ère de la « diversalisation », moment par excellence de la rencontre avec l’autre, avec l’étranger. Par ailleurs, il a rompu avec la science occidentale dictée par le rationalisme et le positivisme. Laquelle tradition voudrait que n’est savoir ce qui est rationnel. Or, pour Cheikh Anta Diop, même ce qui n’est pas rationnel peut être un savoir comme c’est le cas en Afrique. Non pas exclusivement, mais dans une communication entre le rationnelle et le sensible, entre le cerveau et le cœur. Il faudra certes prendre en compte les réalités sociales à partir des théories scientifiques mais il faudra aussi intégrer la dimension émotionnelle et non rationnelle comme le montre bien cette attitude de l’intellectuel organique théorisée par Gramsci et qui, à notre avis, sied bien à Cheikh Anta Diop : « Ces intellectuels organiques ne décrivent pas simplement la vie sociale en fonction de règles scientifiques, mais expriment plutôt les expériences et les sentiments que les masses ne pourraient pas exprimer par elles-mêmes. » Il a su ajuster au savoir rationnel un savoir autre que Einstein appelle la « religiosité Cosmique ». Voila les deux grandes leçons que j’ai apprises de ce maitre.
Pour un dépassement de Cheikh Anta Diop
La leçon centrale de Cheikh Anta Diop est l’appel aux jeunes à moins d’obscurantisme, au travail intense mais plus encore à relativiser, à dépasser et à contextualiser ses idées, à être de véritable Prométhée. Car, comme l’a dit un auteur, « les héritiers de Prométhée », nous devons être les « héritiers de Cheikh Anta Diop ». L’appel au dialogue entre les sciences, seule apte faire sortir l’Afrique de sa léthargie est un moyen pour faire sortir de la caverne.
Il est un maitre à penser pour nous et ses idées seront toujours, non pas des vérités absolues, mais une leçon baptismale, des ouvertures, des brèches à creuser davantage et prolonger en dépassant si possible. Ce qu’il a lui-même voulu en prononçant cette phrase :
« L’Africain qui nous aura compris est celui qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti naitre en lui, un autre Homme, animé d’une conscience Historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion. »
En tant qu’héritiers de ce maitre, nous avons le devoir d’être autant que lui des créateurs, nous avons le devoir de remplir les taches qu’il a laissées. Maitre Cheikh Anta Diop, tes héritiers te saluent !
Livres de Cheikh Anta Diop
Nations nègres et culture : de l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui,
L'unité culturelle de l'Afrique noire,
L'antiquité africaine par l'image
L'Afrique noire précoloniale. Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique noire de l'Antiquité à la formation des États modernes
Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire, 1960 ; réédité par Présence africaine sous le titre Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique Noire
Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ?,
Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et des langues négro-africaines,
Civilisation ou barbarie,
Nouvelles recherches sur l'égyptien ancien et les langues africaines modernes, Présence africaine, Paris, 1988. Ouvrage posthume.
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