Le Reve de la Jeunesse Africaine.
Propos introductifs
L’aspect passionné et passionnel des évènements qui ont secoué le continent africain depuis la fin de l’année 2010 m’ont amener à faire un constat et en tant que jeune engagé, mon devoir était de réagir pour clarifier des faits. Car il est question de transcender les passions partisanes pour questionner véritablement les problèmes qui se posent. Ces évènements n’ont pas encore donné leur verdict mais on peut faire un constat : les africains rêvent .
Ils rêvent qu’après avoir regardé leur « tele novela » toute la nuit, le président de la France viendra le lendemain matin leur dire, je n‘exploiterai plus ton riz ou tes forêts. Ils rêvent que l’autre qui est, selon lui, toujours à l’origine de son mal viendra le caresser dans le sens du poil. Tout est devenu facile à expliquer : à peine on a évoquer la cote d’ivoire, qu’on voit se manifester deux camps : les pro Gbagbo, les pro Ouattara. Les uns caractérisant les autres d’impérialistes et l’autre se revendiquant nationaliste : c’est vrai que ce dernier n’a pas démenti les propos d’Albert Bourgi concernant les mallettes d’argent qu’il aurait envoyées à l’Elisée.
Ainsi dans le cadre des débats et des discussions que j’ai eus avec les amis et les camardes, mes positions ont évolué sans toutefois changé mais elles ont été influencées par des lectures et elles ont muri. Je me suis rendu compte d’une réalité, c’est que jusqu’au XXIème siècle actuel, des jeunes africains qui représentent le devenir de ce continent continuent de rêver et de s’imaginer que les européens ou les puissances étrangères défendront leurs intérêts à leur place et les caresseront dans le sens des poils. Ce qui est faut. C’est la raison de ces quelques mots qui ont un objectif : rompre avec l’explication facile qui dit « c’est à cause de l’autre » pour interroger quelques problèmes internes.
Rappel Historique
La colonisation a été une expérience macabre qui a vu la domination d’une race, d’un peuple par un autre. Bref le monde colonisé fut un monde de barrière entre deux entités :le colonisé et le colonisateur. Mais suite à la Decolonisation, il ne s’agissait plus d’une race dominante sur une autre mais des acteurs dominants sur d’autres. Ces acteurs n’étaient pas forcement des occidentaux mais des africains. Depuis près d’un demi siècle, le point A (A : dominateur et B :dominé) c’est à dire le dominateur de cette relation n’est plus le blanc mais l’élite noire qui a pris le pouvoir.
La décolonisation ayant avorté, les nouveaux leaders se sont transformés en impérialistes vis-à-vis de leurs compatriotes. Ainsi ces leaders postcoloniaux ont repris à leur compte les structures et pratiques coloniales : la contrainte, la violence et la répression. Ils ont fait usage de deux types violence : la violence symbolique et la violence physique. La violence symbolique s’est manifestée par le clientélisme et le neopatrimonialisme au sommet de l’Etat. Le chef de l’Etat était comparable à un chef de famille utilisant les ressources étatiques pour lui, sa famille, son clan ou son ethnie et se servant de l’Etat pour s’assurer une clientèle politique et des cadets sociaux soumis à ses désirs. Concernant la violence physique, il s’agissait de la répression contre les opposants. Ce fut la fameuse époque des partis uniques. Tous ceux qui ne faisaient pas partir du parti au pouvoir étaient considérés comme des subversifs et étaient réprimés. Au Cameroun, les fameuses prisons de Yoko et de tcholliré furent d’ailleurs les maisons de ces réprimés.
Ces pratiques politiques ont occasionné des pertes énormes notamment les crises et les conflits. On peut citer la guerre du Shaba en 1977-1978 au Congo Kinshasa, le conflit tchadien et le conflit en sierra-Léone. En plus de cela, elles n’ont peut être pas occasionné la crise economique, mais ont contribué à ce que cette crise s’enlise car, dans un tel climat politique, les paysans travaillaient et les politiciens en récoltaient les fruits au détriment de ces paysans.
Cela dit les fondements de l’Etat postcolonial africain étaient assez fragiles. Les populations africaines « saturés d’occidentalisation », pour reprendre les termes de Jacques Berque, allaient être saturés « d’autoritarisme postcolonial répressif ». A cette phase succèdera une démocratisation héritière d’un double autoritarisme colonial et postcolonial.
Suite à la chute du mur et la fin de la guerre froide, en 1989, les pays de l’ex bloc communiste basculent vers la Démocratie. C’est le vent de l’est. Ce vent de l’est ajouté aux aspirations des populations locales saturées de répression conduira à la démocratisation sur le continent Africain. Du moins ce que certains intellectuels appellent démocratisation. Car pour d’autres comme la malienne Aminata Dramane Traoré , appeler ces mouvements de démocratisation, c’est confondre le moine par son habit or l’habit ne fait pas le moine. Ce que certains appellent aujourd’hui la vague de démocratisation n’était qu’une démocratie de façade consistant en ce que des politologues ont appelé « Démocratie néo platonicienne ». Elle veut dire tout simplement dire que dans les textes, les Etats sont des Démocraties parfaites or dans la réalité, c’est tout le contraire. Ainsi on a une forme débridée de la démocratie ou « démocrature » pour employer les termes du politologue béninois Mathurin Houngnikpo. On peut le constater un peu partout, de nombreux partis naissent, de nombreux organes de presse aussi, mais la liberté d’expression n’est pas une réalité. On assiste toujours à des répressions arbitraires, à des censures, à la mauvaise répartition des richesses, au clientélisme et à toute forme de corruption. Tout comme la Decolonisation, cette seconde expérience a avorté.
Apres cette seconde réalité, le peuple africain a eu marre de certaines pratiques. Bien que des intérêts externes se sont mêlés par la suite. Après les interventions étrangères en Afrique suite aux soulèvements en Cote d’ivoire, en Tunisie, en Egypte et en Lybie, il apparait clairement que les jeunes africains continuent de rêver.
Une jeunesse qui rêve
Quand je débutais mon cursus académique à l’Université, l’enseignant qui nous donnait relations internationales nous a dit ceci : sur la scène internationale, il n’y a pas d’amis, il n’y a que les intérêts. C’était d’ailleurs l’avis de Charles De Gaulle, il y’a quelques décennies. Je n’y croyais pas. Le temps est passé et je suis davantage entré en possession de la réalité en lisant deux auteurs camerounais: Charly Gabriel Mbock et Achille Mbembe. Le premier, illustre anthropologue, m’apprend dans son dernier livre intitulé : Décoloniser la France, que la géopolitique mondiale ne fonctionne pas au mouchoir mais à la calculatrice. Le second, Achille Mbembe, Historien et politologue par ailleurs grand théoricien de la critique postcolonialiste et de l’Afropolitanisme, va dans le même sens dans son ouvrage intitulé : Sortir de la grande nuit : Essai sur l’Afrique Décolonisée. Fort de cela, ma conception des choses a fortement évolué.
Après tout cela, je comprends que notre rêve, c’est que nous ne vivons pas dans la réalité, car la réalité est que chacun recherche ses intérêts sur la scène internationale . Sarkozy de son coté défend les intérêts de son peuple et il ne défendra jamais les nôtres. L’exemple de notre coté est la signature du traité germano Douala en 1884. En effet, les chefs douala ont signé ce traité pour défendre leurs intérêts et ceux de leur peuple, bien qu’ils aient été dupés. Ils agissaient pour la cause de leur peuple. Alors nous rêvons en pensant un seul instant que la scène internationale sera une affaire de « mouchoir ». Elle a toujours été une histoire de calcul et lorsque les comptes sont bons, les parties sont des bons amis. L’histoire ne nous dit pas le contraire car les grandes batailles ou les grands changements de l’humanité sont le fruit des intérêts et chaque Etat doit pouvoir défendre le sien pour un véritable partenariat gagnant-gagnant.
Il est impératif que nous apprenions à poser nos problèmes à partir de nous mêmes en devenant ce que Achille Mbembe appelle notre «centre propre ». Nous devons donc apprendre à penser l’Afrique par nous mêmes car chercher toujours un responsable à nos problèmes et jouer à la victime relève d’une conception manichéenne du monde. Ce qui est à mon avis un mauvais rêve de croire que l’autre cessera de faire ce qu’il a à faire juste parce que nous avons des beaux yeux ou parce que nous pleurons beaucoup. C’est impossible. Nous devons poser les problèmes véritables en partant de nous mêmes pour faire une véritable introspection et affronter les intérêts des autres sur la scène internationale :ce grand rendez-vous du « donner et du recevoir ». Apres avoir extirper des esprits ces considérations préliminaires, il est important de revenir sur le défi de l’Afrique et son adversaire.
Un jour, j’ai entendu quelqu’un dire qu’il faut aller chercher Sarkozy chez lui et lui prouver qu’on est fort. Est-ce vraiment le challenge ? Avons-nous nécessairement intérêt à « tuer l’occident » comme prônent certains ? Frantz Fanon répond par la négative : « Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l’ancien maître. » Cela dit je suis héritier d’une histoire atroce, mais est-ce que pour m’engager sur le chemin de la réappropriation du « moi », j’ai vraiment besoin de chercher les stratégies d’anéantissement de l’autre ? Est-ce à l’autre que je dois démontrer ma force ? Wole Soyinka répond à cette dernière question en disant : «Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore. » Cela dit notre défi, ce n’est pas de proclamer haut et fort en pleurant qu’on ira chercher Sarkozy, mais c’est de prendre conscience de la réalité, nous tenir debout et peser véritablement sur la scène internationale afin que les uns et les autres constatent véritablement notre tigritude. Cessons de dire que si on est mauvais, c’est à cause des autres ; nos dirigeants sont mauvais, nous ne voyons c’est l’autre qui est responsable et nous ne sommes que des victimes. Les autres qui sont d’autres « je », « nous » ne sont qu’à la recherche de leurs intérêts et lorsque nos dictateurs leur offrent l’opportunité, ils la saisissent joyeusement.
Alors est-ce que je peux me développer en vase clos ? Est-ce que l’Afrique que nous aimons tant peut se développer seul ? Frantz Fanon pense que non et pour lui, il faut transcender les passions relevant des considérations raciales pour entrer véritablement en communication et en partage avec le monde pour se développer.
C’est clair de ce fait que l’autre mystique africaine, qui consiste à prendre appui sur les chinois et dire qu’on pourra se développer sans les autres, n’est qu’une imagination qui ne s’appuie sur aucune réalité pratique. Les différentes cultures du monde doivent pouvoir s’affronter et s’enrichir chacune des particularités positives de l’autre et non pas s’attarder uniquement sur les particularités négatives car toute civilisation a des inconvénients et des aspects positifs.
L’Afrique s’avère être un vivier en la matière parce que comme le dit si bien Achille Mbembe : « Ce n'est donc pas seulement qu'il y a une partie de l'histoire africaine qui se trouve ailleurs, hors d'Afrique. Il y a également une histoire du reste du monde dont nous sommes, par la force des choses, les acteurs et dépositaires, ici même, sur le continent. » Cela veut dire que l’Afrique, dans cette bataille des civilisations, ne doit pas développer une certaine peur de l’autre, une peur de « l’ailleurs » mais elle, qui est l’héritière d’un pluralité civilisationnelle, bien que marquée par des injustices, doit s’appuyer sur cet atout pour regarder vers le future.
Dans ce monde en pleine mutation et mondialisé, le rêve des africains consiste à imaginer un futur en vase clos, en autarcie or il faut cultiver l’esprit du partage, de la rencontre avec les autres pour s’enrichir selon notre génie propre. C’est d’ailleurs le point de vue de Aimé Césaire : « la naissance d’une nouvelle culture relève de la dynamique d’intégration des éléments culturels étrangers dans la culture d’origine qui s’en réapproprie selon son génie pour en faire une valeur culturelle authentique. »
Enfin, nous devons cesser de penser, comme le président Ahmadou Ahidjo, que « …la pluralité politique et la Démocratie sont le privilège des pays riches ». Ces frères africains qui pensent ainsi prennent pour appui deux faits : premièrement l’échec de la pseudo démocratisation des années 1990 que nous avons évoquée plus haut ; deuxièmement, ils disent que les Etats qui veulent imposer la démocratie ne sont pas aussi démocratiques qu’ils le prétendent. Ce rêve est taché d’une copie du mauvais, bref de cette tendance à toujours voir le mauvais, le mal dans « l’ailleurs ».
Or il est important pour nous de défaire ce mythe car la démocratie n’est pas pour les riches mais elle est un moyen pour tout le peuple d’accéder à la richesse nationale par le mérite. On a vu les mythes de developpement de nos pères fondateurs autour de l’unicité et de l’autoritarisme. Ce qui nous a empêché de penser et de réfléchir sur notre situation et sur notre futur. Cette démocratie s’impose désormais à nous pour « faire nos lois et être véritablement souverain » afin que la richesse nationale soit distribuée et qu’il y- ait une véritable justice sociale, gage d’une paix vécue et non pas chantée. Car si nous n’optons pas pour cette Démocratie à partir de l’intérieur : « pour que la Démocratie s’enracine en Afrique, il faut qu’elle soit portée par des forces sociales et culturelles organisée ; des institutions et des réseaux sortis tout droit du génie, de la créativité et surtout des luttes quotidiennes des gens eux mêmes et de leurs traditions propres de solidarité » (Achille Mbembe, Sortir de la Grande Nuit : essai sur l’Afrique Décolonisée, paris, Decouverte,2010. P 23), « Démocratie au bazooka » et « bombe démocratique » seront toujours à l’ordre du jour.
Chers amis, au lieu de toujours voir l’autre et de se dire que l’autre, qui recherche aussi son mieux-être, viendra nous caresser dans le sens du poil, au lieu de faire l’histoire pour pleurnicher et se dire qu’à un moment nous avons été héros, servons nous plutôt de cette Histoire pour expliquer le présent et scruter le futur afin de mettre sur pied de nouveaux paradigmes pour le bien des futures générations africaines.
D’ailleurs Um Nyobe, leader nationaliste camerounais, appelait de ses vœux la démocratie en ces termes « le parlement doit permettre aux autochtones de participer à l’administration de leur pays en faisant les lois » (Achille Mbembe, le Problème National Kamerunais, paris, l’Harmattan,1984. P 149). Il s’agit bel et bien de la Démocratie qui nous rendra nos Etats forts en permettant aux dirigeants de défendre véritablement les intérêts du peuple. Jorge Bula, dans son livre : Violence, Démocratie et Developpement dans le tiers-monde, paris, l’Harmattan, 1990. P 19., déclare : « il n’y a pas de developpement sans équité, de developpement economique sans participation politique et sans démocratisation profonde de la vie économique et sociale au nord comme au sud» .
Propos conclusifs
On comprend en définitive que les africains rêvent au sujet des intérêts des acteurs de la scène internationale, au sujet de nos adversaires dans la marche vers notre accomplissement et enfin au sujet de la démocratie. Il apparait clairement, comme le dit Jorge Bula, que la Démocratie n’est pas l’affaire des riches ou du nord mais aussi du sud et des pauvres pour un véritable developpement qui prend en compte l’homme dans son intégralité et dans ses rapports avec ses semblables. Cette Démocratie doit émaner de l’intérieur, des forces sociales et culturelles internes pour permettre aux leaders de défendre valablement les intérêts du peuples sur l’échiquier international et empêcher la récurrence de termes comme « Démocratie au Bazooka » ou « Bombe Démocratique ». Il s’agit de ce fait d’une decolonisation mentale afin d’entrer véritablement en contact avec monde dans lequel nous vivons.
C’est ainsi que l’Afrique pourra véritablement inventer des formes et manières de « se tenir debout » et utiliser autrement le verbe « être » et le pronom « je » pour affronter son futur. Bref elle pourra penser son futur à partir d’elle même.
Quelques références bibliographiques
Bula. J., Violence, Démocratie et Developpement dans le tiers-monde, paris, l’Harmattan, 1990.
Ela. J.M., Quand l’Etat pénètre en brousse. Les ripostes paysannes à la crise, paris, Karthala, 1990.
Fanon. F., Les damnées de la terre, paris, François Maspero, 1961.
Fanon. F., Peau noire, masques blancs, paris, seuil, 1952.
Houngnikpo. M., L’illusion démocratique en Afrique, paris, l’harmattan, 2004.
Mbembe. A., Le Problème National Kamerunais, paris, l’Harmattan, 1984.
Mbembe. A., Sortir de la Grande Nuit. Essai sur l’Afrique Décolonisée, paris, découverte, 2010.
Mbock. C.G., Décoloniser la France, Montréal, kiyikaat éditions, 2010.
Traoré. A.D., L’étau. L’Afrique dans un monde sans frontières, paris, actes sud, 1999.
Mbembe. A., «Afropolitanisme» in http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=4248, publié le 15/08/2007.
Médard. J.F., « l’Etat en Afrique ne fonctionne pas parce qu’il est une copie de l’Etat occidental (ou de l’Etat colonial) » in Courade. G., l’Afrique des idées reçues, PP. 191-196, paris, Belin, 2006.
TADAJEU KENFACK ULRICH
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