LA REUNIFICATION DU CAMEROUN : DE QUOI S’AGIT-IL ?
1er octobre 1961- 1er octobre 2011: 50 ans déjà que les deux Cameroun divisés le 4 mars 1916 entre la France et l’Angleterre devinrent une fédération ou mieux un Etat fédéral suite à la réunification fruit du déploiement de plusieurs acteurs politiques tant du Cameroun britannique que du Cameroun français. Cette célébration pas assez médiatisée comme celle du cinquantenaire de l’indépendance nous donne l’occasion de revenir sur les grandes motivations ayant animés les uns et les autres et qui auront permis d’unifier à nouveau ce qui fut divisé et séparé par les colons. Il est de ce fait question pour nous de revisiter ici les grands moments ayant conduit à cette réunification.
La réunification est le fait de réunifier et réunifier suppose unifier ou unir à nouveau ce qui a été divisé et séparé pour des raisons quelconques. C’est le cas du Cameroun. Protectorat allemand depuis 1884, le Cameroun est divisé et partagé entre la France et l’Angleterre le 4 mars 1916 suite à la première guerre mondiale qui voit la défaite de l’Allemagne. Cette division et ce partage ont été acceptés et légalisés par l’instance qui en avait les pleins droits à savoir la société des nations (SDN). C’est de ce fait que les deux entités territoriales évoluèrent en rang dispersé dans des systèmes d’administrations quasiment opposés. C’est pour répondre à ce précédent historique que les nationalistes upecistes et leurs camarades du southern cameroon entreprirent de nombreuses tractations pour permettre au Cameroun de recouvrer son intégrité territoriale et son unité d’antan. Comme pour l’indépendance, l’union des populations du Cameroun(UPC) menée par Ruben Um Nyobe dominait la scène. Ces choix du Mpodol et de son parti peuvent avoir été motivés par quelques éléments: d’abord permettre aux camerounais d’être à nouveau unis comme avant 1916 d’où l’usage par les upecistes du terme « Kamerun » avec « K » et non « Cameroun ». laquelle unité à travers la réunification serait un préalable à l’indépendance car il ne fallait pas aller chercher l’indépendance en rang dispersé puisque les frères séparés en 1916 doivent, ensemble, revendiquer l’indépendance[1]. Cette volonté se manifesta par les nombreuses rencontres entre les upecistes d’un coté et les partisans de la réunification du coté britannique notamment le CNF(cameroon national fédération) de l’autre. C’est d’ailleurs avec ces derniers que l’UPC eut une première rencontre en 1949 à Kumba. Mais comme le montre le professeur Abwa dans l’ouvrage cité plus haut, il y eut une opposition idéologique entre les deux parties sur la période ou la date de la réunification : d’un coté on a l’upc qui veut une réunification immédiate et de l’autre, il y a la partie occidentale menée par le CNF qui veut une réunification après quelques temps pour qu’eux aussi, ils atteignent un niveau de developpement semblable à celui du Cameroun français. D’autres rencontres eurent lieu par la suite dans les années 1951 et 1952. Celle de 1951 eut lieu entre Abel Kingue, Ernest ouandie du coté oriental et de l’autre, JFK Dibongue et NM Mbile à Kumba. Elle se manifesta aussi par une opposition entre les deux parties sur les moyens à adopter pour parvenir à une telle réalisation. Les upecistes prônaient et voulaient l’usage de moyens violents tandis que de l’autre coté les occidentaux voulurent l’usage de moyens pacifiques. Enfin la dernière rencontre qui eut lieu en 1952 fut plus décisive et aboutie car les upecistes y donnaient leur point de vue sur la réunification. Parmi ceux-ci, on pouvait remarquer la présence du Mpodol Ruben Um Nyobe et d’Abel Kingue et de l’autre coté ce fut le KUNC(Kamerun United national congrès) avec pour porte parole Nde Ntumazah. A la fin des assise on observa des upecistes très soucieux de la réunification notamment à travers cette phrase en pidgin d’Abel Kingue rapporté par Nde Ntumazah et que le professeur Abwa reprend dans son livre à la page 368 : « Independence and unification dey like soup with achu fufu. For get independence now and get unification tomorrow idey like for tchop achu today, drink soup tomorrow. The two must go the same time.» cette métaphore est la preuve de ce que les upecistes pensaient de la réunification. C’est vrai que comme pour l’indépendance, ces nationalistes ne purent goutter aux délices de cette grande œuvre républicaine et citoyenne mais ils se seront battus corps et âmes au point de mourir pour cette œuvre. Cette bataille permit, même pour des raisons personnelles[2], aux nouvelles autorités c’est à dire Ahmadou Ahidjo soutenu par la France de parachever la réunification.
Qu’est ce qui a motivé Ahmadou Ahidjo très opposé aux upecistes de continuer cette entreprise républicaine et salutaire ? Avait-il les mêmes motivations que Ruben Um Nyobe ? Ou alors il voulait détenir assez de pouvoir ? A ces questions, tous les historiens et politologues que nous avons consultés sont unanimes sur le fait qu’à la différence de Um Nyobe, les raisons de cet empressement et de cette appropriation de la réunification par Ahmadou Ahidjo étaient plus liées aux appétits personnels de ce dernier. C’est normal selon célestin Bedzigui dans la mesure où l’opposition entre «upecistes et Afabiste»[3] fit que ces derniers, pourfendeurs des nationalistes, voulurent s’approprier leur programme afin de les décrédibiliser vis-à-vis du peuple. Le professeur Abwa parle à ce propos d’un « hold-up » d’Ahmadou Ahidjo afin d’éliminer l’UPC du bénéfice de la réunification dont il se bat depuis 1948[4]. Toutes ces motivations devaient permettre au père de la nation de maximiser son pouvoir autoritaire et de le centraliser[5]. Cela dit ces motivations du président Ahidjo lui permirent de mener, en concertations avec les leaders du Cameroun occidental, un ensemble d’actions parmi lesquelles les conférences devant mener les deux territoires à leur homogénéité d’antan.
Au nom de ces actions, ce fut les conférences tripartites et bipartites entre les principaux acteurs que sont la Cameroun francophone indépendant et le Cameroun occidental encore sous colonisation mais aussi la présence de la puissance tutrice de ces derniers à savoir l’Angleterre. Les deux moments forts de ces tractations furent certainement le plébiscite du 11 février 1961 et la conférence de Foumban de juillet de la même année. Mais entre le plébiscite et la conférence, il y eut de nombreuses rencontres comme nous l’avons annoncé. En ce qui concerne le plébiscite, suite à la résolution 1352(XIV) du 16 octobre 1959, les camerounais de la partie occidentale devaient, pour leur indépendance , choisir entre : « une indépendance en se rattachant à la fédération du Nigeria indépendant ou l’indépendance en s’unissant avec la république indépendante du Cameroun.»[6] suite à ce plébiscite, les populations du southern cameroon choisirent à 233371 voix contre 97741 de rallier le Cameroun et le northern cameroon de cette même partie occidentale du Cameroun choisit de rallier la fédération du Nigeria. Ainsi amorcé juridiquement, il fallait préparer techniquement la mise en place de ce nouvel Etat fédéral et ce fut l’objectif des nombreuses conférences et rencontres. C’est important de rappeler que ces débats furent traversés par de nombreuses oppositions entre les principaux acteurs notamment entre Ahmadou Ahidjo du Cameroun francophone et John Ngu Foncha du Cameroun Anglophone. Selon le professeur Abwa, Ahmadou Ahidjo, pour les raisons évoqués plus haut, voulait une fédération avec un pouvoir central fort qui n’était qu’une étape transitoire pour un état unitaire tandis que John Ngu Foncha, de son coté, voulait une fédération avec un pouvoir central faible. C’est au cours de la rencontre bipartite de Yaoundé du 22 au 24 mai 1961 qu’ils discutèrent davantage de leurs positions respectives et au sortir de cette rencontre le leader du Cameroun occidental décida de rentrer avec le texte de son confrère du Cameroun oriental afin de l’examiner minutieusement. La seconde rencontre fut plutôt tripartite dans la mesure où en plus de Ahmadou Ahidjo et John Ngu Foncha, elle impliqua un troisième acteur la délégation britannique encore puissance coloniale du Cameroun occidental. Cette rencontre tripartite se tint à Buea du 14 au 17 juin 1961 avec pour objectif de préparer le transfert des compétences de la puissance tutrice à l’état camerounais. Les choses se précisaient donc mais il restait pour la partie occidentale de trouver un consensus sur un certain nombre de point pour se rendre à Foumban. C’est fort de cela que John Ngu Foncha en sa qualité de leader du Cameroun occidental organisa une conférence des délégués de cette partie pour qu’ils se mettent d’accord sur la posture qu’adoptera leur entité lors de la conférence de Foumban. Elle eut lieu en fin juin 1961 et à VJ Ngoh de dire qu’elle devait « décider de l’avenir constitutionnel du sud dans le cadre de la réunification avec la république du Cameroun.»[7] Ces délégués abordèrent au cour de cette rencontre des sujets tels que le mandat du président, les langues officielles, l’ordre judiciaire et l’éducation. Ils décidèrent par exemple que la future capitale du Cameroun serait Douala et que les deux langues officielles seraient le Français et l’anglais. Ceci dit la délégation du Cameroun occidental devait se dire prête pour cette conférence mais c’était sans savoir le sérieux handicap dans lequel leur leader les a enfouis en refusant de débattre et d’examiner la lettre que lui avait remise Ahidjo lors de la rencontre de mai 1961. Ce fut un handicap dans la mesure où ces délégués se rendirent à Foumban sans avoir pris connaissance du point de vue du Cameroun oriental en ce qui concerne la réunification. L’autre handicap de la délégation occidentale fut le manque de soutien britannique vis-à-vis des occidentaux comme le démontre bien le professeur Abwa dans son ouvrage cité plus haut. Du coté oriental qui avait la charge de l’organisation, le décor était planté par les soins du ministre des affaires étrangères Charles Okala pour que la rencontre de Foumban soit une réussite totale.
La conférence constitutionnelle de Foumban se tint du 17 au 21 juillet 1961 et pour l’historien Daniel Abwa, le choix de cette ville fut, pour Ahidjo, stratégique. L’objectif de la conférence était de poser les bases des structures juridiques du futur Etat fédéral. On assista donc à des débats houleux entre les deux parties sur les institutions, le social et bien d’autres. Ces débats se faisaient entre Ahmadou Ahidjo et sa délégation et John Ngu Foncha et la sienne. Ces derniers sortiront tout de même perdants dans la mesure où la plupart de leurs propositions importantes ne furent pas adoptées et confirment ce point de vue du chercheur Jean Claude Tchouankap : « …elle (conférence de Foumban) visait à phagocyter l’ex Cameroun Méridional conduit par John Ngu Foncha.»[8] Concernant le président par exemple, contrairement à ce que voulaient les occidentaux, ce fut le président de la république du Cameroun qui devint président de l’état fédéral et John Ngu Foncha premier ministre du Cameroun occidental devint vice-président de l’état fédéral. Ça a été aussi le cas de leur volonté de voir Douala devenir capitale du Cameroun, c’est plutôt Yaoundé qui en devint. Ces exemples justifient les motivations hégémoniques du président Ahidjo, la «phagocytose» dont parle Jean Claude Tchouankap et la «maximisation» des pouvoirs dont fait allusion Jean François Bayart. C’est aussi au cours de cette conférence que la constitution de l’état fédéral fut adoptée alors que les derniers réglages furent renvoyés à la rencontre d’août à Yaoundé. Apres cette rencontre, tous les problèmes ayant été évacués, les réglages faits, il fallait parafer l’acte officiel. Raison du voyage de Ahmadou Ahidjo en terre anglophone plus précisément à Buea le 30 septembre 1961 où il scella avec les autorités britanniques l’accord pour la réunification et ces autorités lui transférèrent constitutionnellement la souveraineté du sud Cameroun en sa qualité de chef de l’état. Ainsi le lendemain 1er octobre 1961, le Cameroun occidental fut proclamé indépendant et réunifié conformément au résultat du plébiscite du 11 février 1961 . C’est donc cela que nous célèbrerons demain. Une célébration de très grande importance dans la mesure où c’est la restauration de ce qui nous avait été volé le 4 mars 1916 et le fruit du dur labeur de certains nationalistes comme Ruben Um Nyobe qui ont payé de leur vie. C’est de ce fait une célébration de grande envergure qui devrait renforcer en nous le goût et le désir de vivre ensemble et stimuler en nous l’adhésion au concept de l’union sacrée pour le bénéfice républicain et citoyen.
Au terme de cette contribution que nous nous faisons le plaisir de qualifier de citoyenne et républicaine, nous disons que la marche vers la réunification ne fut pas un long fleuve tranquille pour le Cameroun. Elle fut menée aux premières heures par les nationalistes upecistes soucieux de restaurer l’unité d’antan d’où l’emploi récurrent de «Kamerun». Mais traqués par les colons, ils prirent la fuite et les «AFABISTES» avec aux commandes Ahmadou Ahidjo, l’affidé des colons, se chargea de continuer cette entreprise mais avec des motivations différentes que nous pouvons qualifier d’égoïstes et de dictatoriales. Nous disons ainsi que tout comme l’indépendance, les principaux inspirateurs du mouvement n’ont pas savourer les délices de leur dur labeur. Ce qui incite en nous un chapelet d’interrogation : d’abord n’aurait-il pas été mieux que l’union des populations du Cameroun parvienne à cette réunifications quant on sait que leurs motivations étaient assez bénéfiques pour le peuple et que leur conception de la réunification et de l’indépendance l’en était davantage ? pouvons-nous cinquante années après parler d’une réelle réunification c’est à dire une réelle volonté de vivre ensemble entre ces deux composantes de notre pays ? aurait-il été mieux pour les camerounais des deux parties de garder leur statut colonial puisqu’ils avaient été divisés pendant plus de 40 ans encore que les systèmes d’administration étaient assez opposés et donc n’envisageaient peut-être pas le future de la même manière ? pourquoi ce silence médiatique autour de la célébration du cinquantenaire de la réunification, annoncé pourtant en grande pompe l’année dernière ? enfin serait-il bénéfique pour notre Etat de revenir au fédéralisme comme le proposent certains candidats à l’élection présidentielle du 9 octobre prochain ?
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Abwa D., Cameroun histoire d’un nationalisme:1884-1961, Yaoundé, éditions CLE, 2010.
Bayart. JF, l’état au Cameroun, paris, presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1985.
Meyomesse. E, le carnet politique de Ruben Um Nyobe 1952-1958, Yaoundé, éditions du Kamerun, 2008.
Ngoh. VJ, Cameroun 1884-1985 : cent ans d’histoire, Yaoundé, CEPER, 1990.
Rapport Afrique n°160 du 25 mai 2010 de International crisis group : « Cameroun : un état fragile ? ».
Bedzigui. C, « une phase de la mère des batailles : Upecisme versus Afabisme » in le messager n° 3103 du mercredi 19 mais 2010.
Le messager n°3394 du lundi 25 juillet 2011 avec pour une : « Réunification : que reste-t-il de la conférence de Foumban ? ».
ULRICH TADAJEU : Etudiant en IIIème année Histoire des relations internationales en FLSH l’université de Dschang.
Contact: 23795477852. Mail: utadajeu@yahoo.fr, tsapuetsa@hotmail.fr, @diplomate137 (twitter), www.facebook.com/lediplomate , www.lenegociateur.blog4ever.com.
[1] D. Abwa, Cameroun histoire d’un nationalisme:1884-1961, Yaoundé, éditions CLE, 2010, P.367
[2] Ces raisons personnelles sont évoquées par plusieurs auteurs. Pour jean François Bayart dans l’état au Cameroun parle d’un Ahidjo qui veut maximiser le pouvoir et le centraliser afin d’avoir une hégémonie importante sur la population. Tandis que Jean Claude Tchouankap pense que cette raison fut de phagocyter l’ex Cameroun britannique conduit par John Ngu Foncha.
[3] C. Bedzigui, « une phase de la mère des batailles : Upecisme versus Afabisme » in le messager n° 3103 du mercredi 19 mais 2010.P 8
[4] D. Abwa, Cameroun histoire d’un nationalisme:1884-1961, Yaoundé, éditions CLE, 2010, P.375
[5] JF. Bayart, l’état au Cameroun, paris, presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1985.P 99
[6] VJ, Ngoh. Cameroun 1884-1985 : cent ans d’histoire, Yaoundé, CEPER, 1990.P.191
[7] Ibid.P197
[8] JC Tchouankap in Le messager n°3394 du lundi 25 juillet 2011 avec pour une : « Réunification : que reste-t-il de la conférence de Foumban ? » P.5
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