L’UPC DIVISEE MAIS PAS ANEANTIE
Le 64 eme anniversaire de l’UPC (union des populations du Camerounais), cette année, est marquée par un énième congrès de réconciliation communément appelé congrès unitaire. Nous saisissons cette double opportunité pour revenir sur les divisions au sein du mouvement nationaliste camerounais, qui vit le jour à Douala le 10 avril 1948, afin de montrer que le parti upeciste a, depuis 1955, été plusieurs fois divisé. Ce qui n’a pas influencé la détermination de ces membres à atteindre le même objectif : la libération de notre pays. Nous irons de 1955 à la fin de la décennie 1990. Chaque fois nous allons revenir sur les raisons des divisions, les différentes fractions et surtout les tentatives de résolution à travers les congrès unitaires.
Suite à l’interdiction de l’UPC le 13 juillet 1955, des Divisions naquirent entre le comité directeur et le comité des refugiés. Le comité directeur qui comprenait Felix Roland Moumié et compagnie et le comité des refugiés constitué de Michel Gweth et autres. La raison de cette division serait relative à la position que prendrait l’ONU suite aux doléances soumises par l’UPC. Mais elle se manifestait davantage par la question financière et l’accusation portée par Michel Gweth du comité des refugiés à l’endroit du comité directeur pour un détournement de fonds. Conclusion dissolution du comité des refugiés par le comité directeur et convocation d’un congrès de réconciliation et d’unité du mouvement du 21 au 23 février 1956 à Kumba, bastion de l’UPC exilé. l‘objectif de ce congrès était de donner une nouvelle impulsion au Mouvement et surtout les rapports du parti avec l’administration française.
L’absence de Jacques Ngom des assises de Kumba laissait présager un clash entre ce dernier et le comité directeur. Ceci s’est fait à travers le journal Liberté dont Jacques Ngom était l’éditorialiste et dans un article publié en Mai 1956 intitulé « les camerounais, le sort du pays est entre vos mains », où Jacques Ngom « stigmatisait » le comité directeur du parti mais ces derniers réagirent en qualifiant l’auteur du papier d’opportunistes, de défaitistes et surtout de mauvaise graine pour le parti. Et à Jacques de dire que les leaders de l’époque sacrifiaient les intérêts collectifs à l’autel de leurs intérêts personnels. Bref ce fut le second clash intra UPC suite à son interdiction. A la suite de ce clash, les membres du comité des refugiés furent qualifiés de traitres de la Patrie et radiés du parti nationaliste. Le jugement prononcé contre l’UPC pour reconstitution d’association ne fera qu’enliser le parti dans des rivalités internes.
L’autre moment de Divergence se fit au sujet des élections territoriales de décembre 1956. Ce sont les premières élections de la loi Cadre. Alors il y’eut scission entre d’un coté, le bureau politique et la JDC à Kumba lors du congrès du JDC ( jeunesse Démocratique du Cameroun) du 7 au 9 décembre à Kumba et la résolution adoptée interdisait aux membres de l’UPC de participer à ces élections et le bureau politique le justifiait par : « …le peuple camerounais refuse les élections qui sont une application de la loi cadre : il ne votera pas » cela dit, pour le bureau politique, participer aux élections revenait à cautionner l’action des administrateurs et donc d’être conspirationnistes. De l’autre coté, la section de Yaoundé ou celle des modérés était en faveur de la participation ou le soutien aux progressistes et c’est ainsi que Mathieu Tagny représentant de cette aile fut envoyé à Kumba pour plaider la cause de la participation à l’élection ou le soutien aux progressistes mais sans suite favorable. Cette autre division a eu pour conséquence l’enlisement dans la violence parce que des « groupes d’action » furent crées pour empêcher la population de ne pas voter car « voter, c’est admettre la loi cadre et partant l’intégration du Cameroun à l’union Française » . A la suite de cette fronde intra upeciste, les modérés exclus, réagirent par la plume de Jacques Ngom et de Mathieu Tagny à travers un manifeste signé en mai 1957 et dénommé « manifeste pour le salut des forces camerounaise » dans lequel, ils disaient que les camerounais doivent poursuivre la lutte en dehors des folles ambitions politiques de malheur de Felix Roland Moumié. Il faut dire que l’accusation est la même à savoir que les membres du bureau politique se servent de l’UPC comme d’une affaire personnelle. Mais en dehors de cette accusation, cette rivalité est d’ordre stratégique parce que les uns et les autres veulent avoir le contrôle de l’UPC hors maquis. La même année, c’est Mathieu Tagny qui écrit au secrétaire général du parti nationaliste pour lui demander de rompre avec son équipe qui, selon eux, sacrifie les intérêts nationaux au détriment de ses intérêts propres mais cette rupture n’avait pas pour objectif d’écarter le parti de ses idéaux d’indépendance et de réunification. Bien au contraire, l’idéal était le même, sauf que les moyens et les méthodes ne faisaient pas l’unanimité. Face à la non réaction, Mathieu Tagny et sa troupe décidèrent de lancer un parti alternatif dénommé le parti Kamerunais populaire (PKP) mais le trio de Kumba les traitait de traitre et de vendu.
Ce premier moment de division post interdiction du mouvement nationaliste mettait, dans sa généralité, aux prises d’un coté les progressistes menés par Jacques Ngom et Mathieu Tagny et de l’autre coté les conservateurs en exil à Kumba menés par le bureau politique ayant à sa tête Felix Roland Moumié. Mais ces divisions et rivalités seront davantage consolidées après l’assassinat de Ruben Um Nyobe en 1958. Il faut d’abord relever qu’en 1957 et plus exactement le 3 juin 1957, l’UPC en exil au Cameroun britannique est déclarée illégale par les autorités et commence, pour ces acteurs politiques, un long exil qui mènera la plupart de ces leaders à la mort.
Après la mort du Mpodol le 13 septembre 1958, certains upecistes rallient le régime. C’est le cas de Théodore Mayi Matip et Antoine Yembel De Padoue, respectivement lieutenant et secrétaire particulier de Um Nyobe qui rallièrent l’administration le 20 septembre 1958. Ce ralliement assez prompte et rapide a fait dire à des auteurs comme Jean François Bayart que Th Mayi Matip aurait trahi Ruben Um Nyobe. Bien que pour d’autres comme Abel Eyinga, cet assassinat fut commandité par le régime Ahidjo, nouvellement devenu premier ministre. Nous n’allons pas revenir sur les raisons de cet assassinat ou sur les responsables car le système colonial et ses valets en étaient responsables. Le constat qu’on peut faire c’est que cet assassinat a déstructuré le parti et l’a laissé sans autorité : un parti qui était divisé et qui ne se tenait debout qu’à cause de l’aura d’un homme charismatique et assez écouté : le Mpodol.
Les divisions post-assassinat de Um Nyobe opposaient surtout les ralliés menés par Mayi Matip et tous ceux qui ont rallié le régime aux exilés menés par Moumié et qui ont été expulsés du Cameroun Britannique un an auparavant. L’objectif inavoué de ces rivalités étaient le contrôle du fauteuil du Mpodol laissé vacant après sa mort. Les deux fractions avaient les même objectifs à savoir la libération du Cameroun mais les moyens différaient. Tandis que pour les exilés, il fallait continuer la lutte par la résistance et la violence, pour les ralliés, il fallait lutter par la réconciliation, la non violence et surtout la négociation. Ces deux fractions furent aussi qualifiées d’UPC légale pour celle des ralliés et l’UPC illégale pour celle des exilés. Cette rivalité s’est manifestée par un évènement majeur en 1959, la tenue des élections législatives partielles le 12 avril dans la Sanaga Maritime. Tandis que Mayi Matip envisageait la participation à ces échéances pour sortir de l’illégalité et participer à l’acquisition de l’indépendance, l’UPC en exil était contre la participation à cette échéance car pensait que c’était pactiser avec le colon, ce qui n’allait pas en accord avec les objectifs de l’UPC et donc participer à ces élections étaient, pour l’UPC en exil, une trahison grave au programme de l’UPC. Comme nous le disions le principal fond de division, loin des querelles étaient les moyens de lutte pour acquérir l’indépendance. Les exilés pensaient qu’il fallait emprunter la violence et Moumié déclarait d’ailleurs dans le new York Herald tribune du 19-20 avril 1959 : « son mouvement déclarerait bientôt une guerre ouverte aux français au Cameroun. » Alors que le programme des ralliés était le suivant : préparer pour le peuple des options claires pour son devenir, un climat de cordialité et mettre fin à l’insécurité… la position des ralliés se fit sentir sur le nom de leur liste aux législatives d’Avril 1959. Cette liste eut pour nom : « réconciliation et indépendance » c’est dire que les deux fractions étaient quasiment aux antipodes l’une de l’autre. Ceci entraina d’autres ralliements des membres de l’UPC exilé vers les ralliés notamment Jean Paul Sende et Dicka Akwa et une fois rallié, ceux-ci dénoncèrent les ambitions personnelles, l’action négative, le complot et la trahison de Moumié. Malgré cette division, les ralliés participèrent aux élections.
Pour faire face à ces divisions, un congrès unitaire a été convoqué pour 1962 par un Bureau National Provisoire (BNP) crée suite à l’éparpillement des membres du comité directeur. Ce bureau comprenait comme membres entre autres Th Mayi Matip et Jacques Ngom. C’est dire que ce fut une autre mascarade de l’UPC légale qui n’avait d’unitaire que le nom. Il s’est tout de même tenu en Janvier 1962 et des résolutions ont été prises en ce qui concerne l’accession à l’indépendance mais aussi et surtout la condamnation des moyens du camp Moumié, moyen qu’ils appellent « terrorisme ». Mais cette fraction des ralliées est autant infestée par les divisions entre l’aile Mayi Matip et l’aile Kamdem Ninyim qui se désolidarisa du parti pour créer le FPUP (Front Populaire pour l’Unité et la Paix). Mais à la suite de cette dernière étape, on observa des ralliements au sein de l’administration, surtout ceux de l’UPC légale qui avaient voulu se désolidariser comme Mayi Matip. Suite à ces ralliements, l’UPC n’exista plus à partir de 1966, date de l’instauration du parti unique, bref elle n’exista plus légalement parce que clandestinement, elle continua d’exister mais cette phase ne fait pas l’objet d’une interrogation particulière. Mais, c’est après 1991 avec la légalisation de l’UPC en 1991 que des divisions refont surfaces entre les héritiers des leaders tombés pendant la première décennie postcoloniale.
Suite à la relégalisation de l’UPC en Février 1991 dans la mouvance de la libéralisation politique, deux fractions ou deux tendances naissent au sein de l’UPC entre le duo Kodock-Dicka Akwa et de l’autre coté Michel Ndoh –Siméon Kuissi. La division, à ce niveau, se fait entre les deux duo : tandis que les seconds convoquent un congrès à Bafoussam, les premiers convoquent le leur en Nkongsamba avec le soutien évident du régime Biya qui reconnait la fraction de Kodock comme la fraction légale. Cette division fera qu’en janvier 1992, l’UPC se présentera sur la scène nationale avec deux directions distinctes, l’une menée par Kodock et Dicka Akwa et reconnue comme légale par l’administration et l’autre menée par Michel Ndoh et Siméon Kuissi et non reconnue par l’administration camerounaise. Ces divisions entraineront d’ailleurs la démission des partisans de l’Unité comme Siméon Kuissi en Avril 1992. La conséquence fondamentale de cette énième division est la naissance de l’UPC-MANIDEM. En effet, pour faire face à l’UPC pilotée par Kodock, les membres de l’UPC élus au congres de Bafoussam décidèrent à travers une longue déclaration du Comité directeur, selon eux « légitime » de se démarquer de l’UPC dirigée par Kodock et créent le 9 aout 1992 « l’UPC-MANIDEM ». Dès cet instant, les relations s’envenimèrent et d’autres fractions naquirent. Ceci d’autant plus que les membres du MANIDEM sont les héritiers de l’ex UPC exilé selon qui il faut continuer le combat alors que du coté de l’UPC légal, ceux qu’on peut appeler les « collaborationnistes », ils prônent le ralliement pour lutter pour la libération du pays. D’ailleurs l’attitude politique de Kodock et de ses affidés jusqu’à sa mort ne démontrera pas le contraire. Plusieurs membres ont fait leur entrée dans les gouvernements de Paul Biya, les tentatives d’union à travers les congrès unitaires ont échoué, les ralliements en faveur du candidat du RDPC pendant les échéances électorales sont fréquents. Bref toutes les attitudes politiques qui ont contribué à diviser davantage le parti du crabe que ses pères fondateurs ont baptisé l’âme immortelle du peuple camerounais.
En dernier ressort, on va noter que les divisions upécistes existent depuis bien longtemps et ne sont pas une affaire récente. Elles ont toujours opposé deux principales fractions, les exilés contre les ralliés, l’UPC légale contre l’UPC clandestine. Bref, ces divisions se posent non pas en terme de fin mais en terme de moyen pour atteindre cette fin qu’est la libération du Cameroun. Car, que ce soit les divisions entre Felix Roland Moumié et Th Mayi Matip dans les années 1960 ou entre Kodock et Michel Ndoh pendant la décennie 1990, on peut remarquer un souci de trouver les moyens efficaces pour atteindre la fin ultime de l’union des populations du Cameroun qui est la libération totale du peuple Camerounais. Vivement que cet objectif soit toujours présent et que les leaders actuels puissent se rendre compte de ces divisions et essayer de faire avec pour mener à bien les missions de l’UPC afin qu’elle assume avec brio son statut « d’âme immortelle du peuple Camerounais.»
TADAJEU KENFACK ULRICH,
Etudiant en Histoire des Relations internationales
Président du Cercle des étudiants d’Histoire (CEHI)
Université de Dschang (Cameroun)
Indications bibliographiques :
Nken Simon, l’UPC. De la solidarité idéologique à la division stratégique : 1948-1962, paris, Anibwé, 2010.
Bayart Jean François, l’Etat Au Cameroun, paris, presses de la FNSP, 1985.
Mbembe Achille, Ruben Um Nyobe. Le problème national Kamerunais, paris, l’Harmattan, 1984.
Le 64 eme anniversaire de l’UPC (union des populations du Camerounais), cette année, est marquée par un énième congrès de réconciliation communément appelé congrès unitaire. Nous saisissons cette double opportunité pour revenir sur les divisions au sein du mouvement nationaliste camerounais, qui vit le jour à Douala le 10 avril 1948, afin de montrer que le parti upeciste a, depuis 1955, été plusieurs fois divisé. Ce qui n’a pas influencé la détermination de ces membres à atteindre le même objectif : la libération de notre pays. Nous irons de 1955 à la fin de la décennie 1990. Chaque fois nous allons revenir sur les raisons des divisions, les différentes fractions et surtout les tentatives de résolution à travers les congrès unitaires.
Suite à l’interdiction de l’UPC le 13 juillet 1955, des Divisions naquirent entre le comité directeur et le comité des refugiés. Le comité directeur qui comprenait Felix Roland Moumié et compagnie et le comité des refugiés constitué de Michel Gweth et autres. La raison de cette division serait relative à la position que prendrait l’ONU suite aux doléances soumises par l’UPC. Mais elle se manifestait davantage par la question financière et l’accusation portée par Michel Gweth du comité des refugiés à l’endroit du comité directeur pour un détournement de fonds. Conclusion dissolution du comité des refugiés par le comité directeur et convocation d’un congrès de réconciliation et d’unité du mouvement du 21 au 23 février 1956 à Kumba, bastion de l’UPC exilé. l‘objectif de ce congrès était de donner une nouvelle impulsion au Mouvement et surtout les rapports du parti avec l’administration française.
L’absence de Jacques Ngom des assises de Kumba laissait présager un clash entre ce dernier et le comité directeur. Ceci s’est fait à travers le journal Liberté dont Jacques Ngom était l’éditorialiste et dans un article publié en Mai 1956 intitulé « les camerounais, le sort du pays est entre vos mains », où Jacques Ngom « stigmatisait » le comité directeur du parti mais ces derniers réagirent en qualifiant l’auteur du papier d’opportunistes, de défaitistes et surtout de mauvaise graine pour le parti. Et à Jacques de dire que les leaders de l’époque sacrifiaient les intérêts collectifs à l’autel de leurs intérêts personnels. Bref ce fut le second clash intra UPC suite à son interdiction. A la suite de ce clash, les membres du comité des refugiés furent qualifiés de traitres de la Patrie et radiés du parti nationaliste. Le jugement prononcé contre l’UPC pour reconstitution d’association ne fera qu’enliser le parti dans des rivalités internes.
L’autre moment de Divergence se fit au sujet des élections territoriales de décembre 1956. Ce sont les premières élections de la loi Cadre. Alors il y’eut scission entre d’un coté, le bureau politique et la JDC à Kumba lors du congrès du JDC ( jeunesse Démocratique du Cameroun) du 7 au 9 décembre à Kumba et la résolution adoptée interdisait aux membres de l’UPC de participer à ces élections et le bureau politique le justifiait par : « …le peuple camerounais refuse les élections qui sont une application de la loi cadre : il ne votera pas » cela dit, pour le bureau politique, participer aux élections revenait à cautionner l’action des administrateurs et donc d’être conspirationnistes. De l’autre coté, la section de Yaoundé ou celle des modérés était en faveur de la participation ou le soutien aux progressistes et c’est ainsi que Mathieu Tagny représentant de cette aile fut envoyé à Kumba pour plaider la cause de la participation à l’élection ou le soutien aux progressistes mais sans suite favorable. Cette autre division a eu pour conséquence l’enlisement dans la violence parce que des « groupes d’action » furent crées pour empêcher la population de ne pas voter car « voter, c’est admettre la loi cadre et partant l’intégration du Cameroun à l’union Française » . A la suite de cette fronde intra upeciste, les modérés exclus, réagirent par la plume de Jacques Ngom et de Mathieu Tagny à travers un manifeste signé en mai 1957 et dénommé « manifeste pour le salut des forces camerounaise » dans lequel, ils disaient que les camerounais doivent poursuivre la lutte en dehors des folles ambitions politiques de malheur de Felix Roland Moumié. Il faut dire que l’accusation est la même à savoir que les membres du bureau politique se servent de l’UPC comme d’une affaire personnelle. Mais en dehors de cette accusation, cette rivalité est d’ordre stratégique parce que les uns et les autres veulent avoir le contrôle de l’UPC hors maquis. La même année, c’est Mathieu Tagny qui écrit au secrétaire général du parti nationaliste pour lui demander de rompre avec son équipe qui, selon eux, sacrifie les intérêts nationaux au détriment de ses intérêts propres mais cette rupture n’avait pas pour objectif d’écarter le parti de ses idéaux d’indépendance et de réunification. Bien au contraire, l’idéal était le même, sauf que les moyens et les méthodes ne faisaient pas l’unanimité. Face à la non réaction, Mathieu Tagny et sa troupe décidèrent de lancer un parti alternatif dénommé le parti Kamerunais populaire (PKP) mais le trio de Kumba les traitait de traitre et de vendu.
Ce premier moment de division post interdiction du mouvement nationaliste mettait, dans sa généralité, aux prises d’un coté les progressistes menés par Jacques Ngom et Mathieu Tagny et de l’autre coté les conservateurs en exil à Kumba menés par le bureau politique ayant à sa tête Felix Roland Moumié. Mais ces divisions et rivalités seront davantage consolidées après l’assassinat de Ruben Um Nyobe en 1958. Il faut d’abord relever qu’en 1957 et plus exactement le 3 juin 1957, l’UPC en exil au Cameroun britannique est déclarée illégale par les autorités et commence, pour ces acteurs politiques, un long exil qui mènera la plupart de ces leaders à la mort.
Après la mort du Mpodol le 13 septembre 1958, certains upecistes rallient le régime. C’est le cas de Théodore Mayi Matip et Antoine Yembel De Padoue, respectivement lieutenant et secrétaire particulier de Um Nyobe qui rallièrent l’administration le 20 septembre 1958. Ce ralliement assez prompte et rapide a fait dire à des auteurs comme Jean François Bayart que Th Mayi Matip aurait trahi Ruben Um Nyobe. Bien que pour d’autres comme Abel Eyinga, cet assassinat fut commandité par le régime Ahidjo, nouvellement devenu premier ministre. Nous n’allons pas revenir sur les raisons de cet assassinat ou sur les responsables car le système colonial et ses valets en étaient responsables. Le constat qu’on peut faire c’est que cet assassinat a déstructuré le parti et l’a laissé sans autorité : un parti qui était divisé et qui ne se tenait debout qu’à cause de l’aura d’un homme charismatique et assez écouté : le Mpodol.
Les divisions post-assassinat de Um Nyobe opposaient surtout les ralliés menés par Mayi Matip et tous ceux qui ont rallié le régime aux exilés menés par Moumié et qui ont été expulsés du Cameroun Britannique un an auparavant. L’objectif inavoué de ces rivalités étaient le contrôle du fauteuil du Mpodol laissé vacant après sa mort. Les deux fractions avaient les même objectifs à savoir la libération du Cameroun mais les moyens différaient. Tandis que pour les exilés, il fallait continuer la lutte par la résistance et la violence, pour les ralliés, il fallait lutter par la réconciliation, la non violence et surtout la négociation. Ces deux fractions furent aussi qualifiées d’UPC légale pour celle des ralliés et l’UPC illégale pour celle des exilés. Cette rivalité s’est manifestée par un évènement majeur en 1959, la tenue des élections législatives partielles le 12 avril dans la Sanaga Maritime. Tandis que Mayi Matip envisageait la participation à ces échéances pour sortir de l’illégalité et participer à l’acquisition de l’indépendance, l’UPC en exil était contre la participation à cette échéance car pensait que c’était pactiser avec le colon, ce qui n’allait pas en accord avec les objectifs de l’UPC et donc participer à ces élections étaient, pour l’UPC en exil, une trahison grave au programme de l’UPC. Comme nous le disions le principal fond de division, loin des querelles étaient les moyens de lutte pour acquérir l’indépendance. Les exilés pensaient qu’il fallait emprunter la violence et Moumié déclarait d’ailleurs dans le new York Herald tribune du 19-20 avril 1959 : « son mouvement déclarerait bientôt une guerre ouverte aux français au Cameroun. » Alors que le programme des ralliés était le suivant : préparer pour le peuple des options claires pour son devenir, un climat de cordialité et mettre fin à l’insécurité… la position des ralliés se fit sentir sur le nom de leur liste aux législatives d’Avril 1959. Cette liste eut pour nom : « réconciliation et indépendance » c’est dire que les deux fractions étaient quasiment aux antipodes l’une de l’autre. Ceci entraina d’autres ralliements des membres de l’UPC exilé vers les ralliés notamment Jean Paul Sende et Dicka Akwa et une fois rallié, ceux-ci dénoncèrent les ambitions personnelles, l’action négative, le complot et la trahison de Moumié. Malgré cette division, les ralliés participèrent aux élections.
Pour faire face à ces divisions, un congrès unitaire a été convoqué pour 1962 par un Bureau National Provisoire (BNP) crée suite à l’éparpillement des membres du comité directeur. Ce bureau comprenait comme membres entre autres Th Mayi Matip et Jacques Ngom. C’est dire que ce fut une autre mascarade de l’UPC légale qui n’avait d’unitaire que le nom. Il s’est tout de même tenu en Janvier 1962 et des résolutions ont été prises en ce qui concerne l’accession à l’indépendance mais aussi et surtout la condamnation des moyens du camp Moumié, moyen qu’ils appellent « terrorisme ». Mais cette fraction des ralliées est autant infestée par les divisions entre l’aile Mayi Matip et l’aile Kamdem Ninyim qui se désolidarisa du parti pour créer le FPUP (Front Populaire pour l’Unité et la Paix). Mais à la suite de cette dernière étape, on observa des ralliements au sein de l’administration, surtout ceux de l’UPC légale qui avaient voulu se désolidariser comme Mayi Matip. Suite à ces ralliements, l’UPC n’exista plus à partir de 1966, date de l’instauration du parti unique, bref elle n’exista plus légalement parce que clandestinement, elle continua d’exister mais cette phase ne fait pas l’objet d’une interrogation particulière. Mais, c’est après 1991 avec la légalisation de l’UPC en 1991 que des divisions refont surfaces entre les héritiers des leaders tombés pendant la première décennie postcoloniale.
Suite à la relégalisation de l’UPC en Février 1991 dans la mouvance de la libéralisation politique, deux fractions ou deux tendances naissent au sein de l’UPC entre le duo Kodock-Dicka Akwa et de l’autre coté Michel Ndoh –Siméon Kuissi. La division, à ce niveau, se fait entre les deux duo : tandis que les seconds convoquent un congrès à Bafoussam, les premiers convoquent le leur en Nkongsamba avec le soutien évident du régime Biya qui reconnait la fraction de Kodock comme la fraction légale. Cette division fera qu’en janvier 1992, l’UPC se présentera sur la scène nationale avec deux directions distinctes, l’une menée par Kodock et Dicka Akwa et reconnue comme légale par l’administration et l’autre menée par Michel Ndoh et Siméon Kuissi et non reconnue par l’administration camerounaise. Ces divisions entraineront d’ailleurs la démission des partisans de l’Unité comme Siméon Kuissi en Avril 1992. La conséquence fondamentale de cette énième division est la naissance de l’UPC-MANIDEM. En effet, pour faire face à l’UPC pilotée par Kodock, les membres de l’UPC élus au congres de Bafoussam décidèrent à travers une longue déclaration du Comité directeur, selon eux « légitime » de se démarquer de l’UPC dirigée par Kodock et créent le 9 aout 1992 « l’UPC-MANIDEM ». Dès cet instant, les relations s’envenimèrent et d’autres fractions naquirent. Ceci d’autant plus que les membres du MANIDEM sont les héritiers de l’ex UPC exilé selon qui il faut continuer le combat alors que du coté de l’UPC légal, ceux qu’on peut appeler les « collaborationnistes », ils prônent le ralliement pour lutter pour la libération du pays. D’ailleurs l’attitude politique de Kodock et de ses affidés jusqu’à sa mort ne démontrera pas le contraire. Plusieurs membres ont fait leur entrée dans les gouvernements de Paul Biya, les tentatives d’union à travers les congrès unitaires ont échoué, les ralliements en faveur du candidat du RDPC pendant les échéances électorales sont fréquents. Bref toutes les attitudes politiques qui ont contribué à diviser davantage le parti du crabe que ses pères fondateurs ont baptisé l’âme immortelle du peuple camerounais.
En dernier ressort, on va noter que les divisions upécistes existent depuis bien longtemps et ne sont pas une affaire récente. Elles ont toujours opposé deux principales fractions, les exilés contre les ralliés, l’UPC légale contre l’UPC clandestine. Bref, ces divisions se posent non pas en terme de fin mais en terme de moyen pour atteindre cette fin qu’est la libération du Cameroun. Car, que ce soit les divisions entre Felix Roland Moumié et Th Mayi Matip dans les années 1960 ou entre Kodock et Michel Ndoh pendant la décennie 1990, on peut remarquer un souci de trouver les moyens efficaces pour atteindre la fin ultime de l’union des populations du Cameroun qui est la libération totale du peuple Camerounais. Vivement que cet objectif soit toujours présent et que les leaders actuels puissent se rendre compte de ces divisions et essayer de faire avec pour mener à bien les missions de l’UPC afin qu’elle assume avec brio son statut « d’âme immortelle du peuple Camerounais.»
Voici au besoin des indications bibliographiques :
Nken Simon, l’UPC. De la solidarité idéologique à la division stratégique : 1948-1962, paris, Anibwé, 2010.
Bayart Jean François, l’Etat Au Cameroun, paris, presses de la FNSP, 1985.
Mbembe Achille, Ruben Um Nyobe. Le problème national Kamerunais, paris, l’Harmattan, 1984.
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