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Ruben Um Nyobè, victime de l’ostracisme postcolonial camerounais

Dans ce billet, nous revenons sur 55 années d’effacement mémoriel de Ruben Um Nyobe et plus largement d’ostracisme des leaders nationalistes camerounais par les dirigeants postcoloniaux de ce pays.

Ça fait déjà 55 ans que le leader nationaliste Ruben Um Nyobe a été assassiné dans la forêt de la Sanaga maritime alors qu’il poursuivait la résistance de manière structurée. Comme à l’accoutumée, ce 13 septembre 2013 nous donne l’occasion de revenir sur lui. Non pas sur le contexte de son combat encore moins sur son œuvre suffisamment évoquée les années antérieures, mais sur l’après Um Nyobe notamment l’ostracisme dont il a été victime ainsi que les enjeux et enfin les enjeux de sa « résurrection » pour les générations actuelles et futures.

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Ruben Um Nyobe

 

La fin de l’ère coloniale et la prise en main du destin du Cameroun par Ahmadou Ahidjo, aujoulatiste de son état (en référence à son mentor, Louis Paul Aujoulat qui créa le Bloc Démocratique du Cameroun en 1951), a consacré l’ostracisme et la seconde mort des leaders nationalistes jusque-là assassinés physiquement. Ceux qui étaient déjà morts comme Ruben Um Nyobe n’étaient évoqués que pour être condamnés alors que ceux qui existaient encore au début de la décennie 1960 faisait l’objet d’une traque sans précédent qui a conduit à leur assassinat respectif et progressif dans des conditions atroces. Cette première décennie postcoloniale connait déjà une forte marque d’ostracisme c’est-à-dire d’exclusion et de rejet de ceux qui se battaient pour l’indépendance du Cameroun. Ruben Um Nyobe et les siens étaient qualifiés de terroristes quand ils n’étaient pas chassés du pays comme des ennemis de la République. Tout le dispositif sécuritaire qui s’est très vite transformé en dispositif de torture est assez éloquent. Entre 1960 et 1965, on recense au Cameroun la naissance des camps de rééducation civique, les lois anti subversion, des punitions atroces. En 1971, avant l’assassinat d’Ernest Ouandié sur la place Publique à Bafoussam, ce dernier affirma triomphalement que le « combat continue ». Il s’agissait certainement du combat déjà évoqué par Um Nyobe deux décennies plus tôt au congrès d’Eséka en ces termes : « L'indépendance du Kamerun signifie le gouvernement du Kamerun par les Kamerunais, au profit des Kamerunais. » Il est clair que le dessein d’Um Nyobe et les siens était la libération du Cameroun ainsi que la restauration de l’unité d’antan. Mais le régime de Yaoundé de l’époque, intimement lié aux détracteurs du mouvement nationaliste, s’est fait le plaisir de mettre les « bâtons dans les roues » de ces nationalistes.

Après la collaboration lors des luttes anticoloniales avec les forces coloniales, ce régime a remplacé le « père » (France) et, avec l’aide de cette dernière, a effacé une fois de plus ces héros de la place publique. Il s’est agi de l’effacement public inauguré par le style de mort de Ruben Um Nyobe parce que faut-il le rappeler, après avoir été tué, il a été trainé comme une ordure au sol pour être défiguré et effacé complètement. Il s’agissait ainsi de profaner son cadavre en annonçant dans les tracts la mort du « dieu qui s’est trompé ». Cet effacement mémoriel s’est traduit par le refus d’enseigner l’histoire politique à une certaine période ainsi que la censure qui pesait sur des travaux universitaires ayant un rapport avec les luttes nationalistes (le cas d’Achille Mbembe). Il s’est aussi traduit par un discours de production de l’autre. Ce style de discours, expression par excellence de l’ « idée maléfique » a toujours pour finalité de diaboliser l’autre parce qu’il n’est pas de notre camp afin de le décrédibiliser aux yeux du public. C’est ainsi qu’on entendait parler de « terroriste », de « communiste » et parfois même d’ « ennemi de la nation ». Pour ceux qui essayaient de « continuer le combat » des nationalistes, ils étaient, par l’action coordonnée des autorités de Yaoundé et de Paris, persécutés de tous les côtés. Ce fut le cas de Mongo Beti. Ce premier effacement postcolonial a été du, nous semble-t-il, au fait que le lien entre la déchéance des leaders nationalistes et le positionnement du régime Ahidjo était très poussé. On a de ce fait observé une violence, des persécutions mais surtout le désir inlassable de ne pas reconnaître le crâne d’un parent mort pour notre épanouissement comme ça se fait partout ailleurs.

 

L’année 1990 n’est pas seulement l’année du retour au multipartisme mais aussi l’année de la proclamation des leaders nationalistes dont Um Nyobe comme héros nationaux. La nation reconnaissait ainsi leurs actes de bravoure et leur patriotisme. Mais après, plus rien. Silence complet, non-évocation, héritage mal entretenu. Bref, leur combat reste toujours inconnu d’une jeunesse en quête de repères. D’ailleurs, nombreux sont ceux (moi, y compris) qui arrivent au supérieur, entament un cursus en Histoire avant de connaître effectivement Um Nyobe et les autres. Depuis 1990 que ces Hommes ont été proclamés « héros nationaux », plus rien. Pas de référence à leur combat dans les discours politiques, pas de monuments de haute envergure à leur honneur, pas de grande rue encore moins de grand établissement portant leurs noms ou leurs effigies. Sur les papiers, ils sont héros nationaux alors que dans les faits, rien n’est posé comme acte pour que les jeunes générations les connaissent, se les approprient pour aiguiser leur patriotisme. Qu’est-ce qu’on observe ? Un silence !

 

Mais, à côté, on parle de colloque, de rencontre pour un nouvel « esprit civique » camerounais, pour le respect des valeurs de la République. Or, une République ce sont des valeurs partagées ensembles. Ces valeurs ne tombent pas du ciel mais elles sont le fruit de combats menés par des personnes. Sauf que dans notre contexte, ces combats sont effacés, que deviendront de facto les valeurs ? Nous avons toujours été flattés par des exemples forts éloquents qui viennent d’ailleurs en ce qui concerne les valeurs de la république ainsi que ceux qui représentent ces valeurs-là. Le cas de la France où on observe le président de la République entré dans ce haut lieu qu’est le panthéon pieds nus et avec  un profond respect, des Etats-Unis où le président fait régulièrement référence aux pères fondateurs dans ses discours ou encore de l’Afrique du Sud où un « culte » est rendu à Nelson Mandela pour son action salutaire ou enfin au Kenya où le mouvement Mau-Mau fait partie de l’héritage national et est glorifié comme tel montre à merveille que le Cameroun a tout intérêt à dé-ostraciser ces héros afin que la jeune génération puisse trouver en eux des valeurs à s’approprier. Bref, il faut « ressusciter » ces héros à travers les divers moyens qui s’imposent : communication, éducation, cinématographie, presse…

 

On serait heureux de voir des enseignements dès le primaire consacrés uniquement aux héros de l’indépendance de telle sorte que le jeune camerounais qui entre au secondaire soit capable de parler de Um Nyobe comme le jeune Chinois parle de Mao Zedong. Il serait tout aussi intéressant de voir nos leaders politiques dominants faire de temps en temps référence aux phrases de Ruben Um Nyobe ou encore Felix Roland Moumié dans leurs discours.  Est-ce qu’ils ne méritent pas qu’une avenue, un collège, un boulevard porte leurs noms et non plus des noms vides de sens tels que « Avenue Kennedy », «  Boulevard du 20 mai » ou encore « Lycée Général Leclerc » ? Des films sur leur combat permettraient de manière ludique aux jeunes de savoir ce qu’ils ont posé comme actes. Ailleurs, des films comme Invictus de Clint Eastwood avec Morgan Freeman comme personnage principal permettent de communiquer sur le combat de Mandela. La presse pourrait à travers des espaces donner la parole aux historiens afin qu’ils mettent à la disposition du public des informations importantes, fruits des recherches récentes à leurs sujets. Enfin, la construction d’un panthéon où seront exposés les restes de ces héros permettraient définitivement de les hisser au piédestal d’héros nationaux avec des valeurs communément acceptées et partagées comme valeurs républicaines. 

Le rejet, l’exclusion, voire le silence  autour du combat de Ruben Um Nyobe depuis la fin officielle de la colonie nous amènent à penser qu’en plus de l’assassinat physique orchestré en période coloniale, ce dernier a été victime d’un assassinat symbolique que nous avons appelé ostracisme. De telles pratiques à l’endroit de celui qui avait un désir ardent de voir le Cameroun libre, réunifié, gouverné par les camerounais plombent résolument notre décollage économique, social et culturel qui doit être sous tendu par de réelles valeurs républicaines. Or, il est l’un de nos ancêtres dans la pratique et l’expérience de ces valeurs. L’avenir de notre pays en dépend. Alors, cessons d’ostraciser Ruben Um Nyobe, donnons à lui et à ses compagnons de lutte la place qui leur revient de droit.



13/09/2013
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