L\'Afrique peut!

L\'Afrique peut!

" Salut les sacrifiés, salut les héros, salut les vaillants soldats qui tombent au front pour que tout le peuple vive "

 

Quatre hommes, quatre jours, un mois : Janvier !

 

S’il fallait dédier un mois aux martyrs africains, je proposerais  le mois de janvier. En effet, plusieurs Hommes  Africains qui luttaient pour la dignité et la prospérité du continent ont été assassinés au champ de bataille au mois de Janvier. Dans ce billet, je me propose de parcourir la vie de ces héros africains qui ont été « effacés » au mois de janvier. La logique voudrait que j’adopte une chronologie mensuelle c’est-à-dire du premier à être assassiné au cours du mois au dernier au cours du même mois avant d’envisager les années. Mais je prendrai une chronologie annuelle c’est-à-dire que j’irai du premier à être assassiné au dernier selon les années.

 

17 Janvier 1961 : Patrice Lumumba est assassiné.

 

 

Patrice Emery Lumumba est né en 1925 et fut un homme politique congolais qui a marqué son temps par son esprit et son amour pour sa patrie et l’Afrique. Ce brillant orateur reçut une formation de missionnaire et exerça le métier de postier. Pour matérialiser ses idées et fédérer les congolais autour de lui, il mit sur pied en 1958 le MNC (Mouvement National Congolais) dans lequel il prônait l’indépendance unitaire du Congo. La table ronde de Bruxelles en 1960 fut d’ailleurs l’occasion idoine pour lui de défendre ses idées devant un public très large comprenant les colons belges et  les administrateurs congolais. Suite à la victoire de son parti aux élections de 1960, il était chargé de diriger le gouvernement  mais il fut destitué après l’accession de son pays à l’indépendance le 30 juin 1960. Une accession marquée par un de ses discours les plus virulents envers les pouvoirs coloniaux dans lequel il montrait toutes les turpitudes qui ont été infligés aux africains par les colons et souhaitaient une libération véritable de l’Afrique. C’est un Homme Politique qui faisait peur pour ses idées en faveur de l’émancipation de son peuple quant on sait que le Royaume de Belgique tirait toute sa richesse de ce vaste pays. Il a finalement été assassiné le 17 janvier après avoir été destitué le 9 Décembre 1960 par Joseph Kasavubu alors président du Congo Kinshasa. Il avait  36 ans. En 1966, il est fait héros national par son bourreau Mobutu et la date du 17 Janvier est fériée en République Démocratique du Congo en mémoire à ce héros.

 

13 Janvier 1963 : Sylvanus Olympio est assassiné.

 

 

Sylvanus Olympio est né en 1902 et a été assassiné le 13 janvier 1963 à la suite du tout premier coup d’Etat en Afrique deux ans après avoir pris les rênes du jeune Etat togolais.  Après des études supérieures au Togo Britannique puis à Londres, il a une expérience professionnelle à Londres avant de rentrer en Afrique en 1928 où il travaille successivement au Nigéria et au Ghana. En 1932, il rentre au Togo. Il va se servir de la tribune offerte par le conseil de tutelle de l’ONU pour faire ses déclarations et pétitions contre l’administration Française.  L’objectif étant de se servir des dispositions offertes par le Conseil de tutelle pour revoir le tracé colonial des frontières, puis affranchir son pays de la domination étrangère.  Son activité politique se faisait dans le cadre du comité de l’Unité Togolaise (CUT) dont il a participé à la création le 13 mars 1941 avec des objectifs communautaires. Il visait surtout la réunification du Togo comme à l’époque Allemande pour permettre au peuple Ewé de se rassembler. Car il faut rappeler que le Togo a connu la même évolution constitutionnelle pendant la période coloniale que le Cameroun. Sous protectorat Allemand avant la première guerre mondiale, le Togo a été partagé par la suite entre la France et l’Angleterre suite à la défaite Allemande au cours de la guerre. Mais c’est en 1945 qu’Olympio transformera le CUT en véritable parti politique qui visait la réunification du Togo et l’indépendance. Mais pour bien remplir ses taches politiques, il dut démissionner de Unilever, l’entreprise française dans laquelle il travaillait car ceux-ci voulaient le muter en France sous la demande des autorités coloniales. En plus, les autorités coloniales firent naitre d’autres partis politiques pour diviser le CUT. C’est le cas de L’UCPN (l’Union des Chefs et des Populations du Nord). Contre vents et marées, Le 27 avril 1960, il proclame l’indépendance officielle du Togo. Le 9 avril 1961, il est élu président de la République. Il est mort assassiné suite à un coup d’Etat mené par Gnassimbé avec la complicité de l’ambassade et des services secrets  de la France dans la nuit du 12 au 13 janvier 1963. Ce dernier aurait confié selon François Xavier Verschave à des journalistes qu’il est effectivement celui qui a « descendu » Sylvanus Olympio. Depuis, le 13 janvier est jour de fête nationale au Togo. Il est, parmi les martyrs Africains du mois de janvier, le plus âgé.

 

15 Janvier 1971 : Ernest Ouandié est fusillé.

 

 

Ouandié est né en 1924  à Bana et a été assassiné le 15 Janvier 1971 à Bafoussam par les autorités camerounaises.  En 1927, son père est déporté pour travailler dans les plantations de café des colons. Après avoirs été un syndicaliste à l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC), il débute sa carrière d’enseignant en 1948 et adhère directement à l’UPC. C’est un grand militant qui implante l’UPC dans tous ses lieux d’affectation. Ce militantisme a été récompensé au second congrès du parti du crabe à Eseka en 1952 car il est devenu vice président du parti nationaliste. Suite aux émeutes de 1955, il prit la route de l’exil comme la plupart des upécistes non ralliés  après l’assassinat de Felix Roland Moumié à Genève en Novembre 1960, il rentre clandestinement au Cameroun pour prendre les commandes l’Armée de Libération Nationale du Kamerun (ALNK) qui a continué la lutte dans le « maquis » pour réclamer une « réelle indépendance » du Cameroun et la libération du joug des forces néocoloniales. Mais face aux multiples difficultés, il est arrêté dans un complot mené par les autorités de Yaoundé et le Vatican qui a tout l’air d’une trahison de Mgr Ndongmo avec qui, il doit négocier pour une solution pacifique. Alors que Mgr Ndongmo a rendez-vous avec Ouandié en Aout 1970 à Nkongsamba, le prélat est convoqué au Vatican et le nationaliste Camerounais n’en est pas informé. Jean Fochivé et ses hommes l’arrêtèrent le 18 Aout. Il est immédiatement fait prisonnier à Mbanga avant le procès expéditif de Décembre 1970. Un procès qualifié de « mascarade judiciaire » dans la mesure où Ouandié était sans défense. Le visa des avocats de l’accusé avait été refusé. Au tribunal militaire, Ouandié n’a que lancé cette phrase : « Je refuse de cautionner la forfaiture de M. Ahidjo. » A la différence de certains autres condamnés à mort, Ernest Ouandié n’a pas demandé de grâce présidentielle. Il est accusé d’organisation de a rébellion en compagnie d’autres militants upécistes et Mgr Ndongmo. Il est jugé au tribunal militaire de Yaoundé et condamné à la peine capitale. Il sera exécuté sur la place publique à Bafoussam le 15 janvier 1971 en compagnie de Raphael Fotsing et de Gabriel Tabeu, des upécistes comme lui. La loi du 16 janvier 1991 adoptée par l'Assemblée nationale du Cameroun lui conférera le statut de héros national.

 

20 Janvier 1973 : Amilcar Cabral ferme la série noire de Janvier.

 

 

Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924 et a été assassiné le 20 janvier 1973. Il est fondateur du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) qui lutta et amena l’indépendance de ces deux Etats colonisés par le Portugal. De Père cap verdien et mère guinéenne,  il fait ses études à Lisbonne au Portugal jusqu’en 1952 et y côtoie des militants anticolonialistes. Il devient agronome et retourne en Guinée Bissau. 1956, il fonde le PAIGC, alors clandestin et se bat à faire reconnaitre la légitimité internationale de son parti. En 1972, le parti est reconnu par l’ONU (Organisation des Nations Unies) comme le seul interlocuteur valable et légitime de la Guinée et du Cap vert.  Il est assassiné le 20 janvier 1973 à Conakry (Guinée-Conakry), six mois seulement avant l’indépendance de la Guinée-Bissau. Ses assassins sont des membres de son parti, vraisemblablement manipulés par les autorités portugaises et bénéficiant de complicités au plus haut niveau dans l’État guinéen. Comme au Cameroun, il ne goutera jamais aux délices de l’indépendance qui sera proclamée le 10 septembre 1974.  Un aéroport à Sal au Cap-Vert porte son nom, l'Aéroport international Amílcar. En plus des lycées qui portent son nom dans son pays, un aéroport à Sal au Cap porte également son nom.

 

Des valeurs que nous devons expérimenter.

 

Le combat de ces martyrs visait une réelle indépendance de l’Afrique loin des faveurs coloniales et néocoloniales occidentales. Une indépendance vraie et conquise comme le disait Lumumba : « Les cadeaux, on n'apprécie pas. L'indépendance cadeau, ce n'est pas une bonne indépendance. L'indépendance conquise est la vraie indépendance ». C’est la raison pour laquelle ils ont lutté ardemment sans hypocrisie sans ménager les sacrifices qui s’imposaient : « c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. C'est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force. » Lumumba le 30 Juin 1960. Quelque temps avant lui, Sylvanus Olympio à la déclaration d’indépendance du Togo le 27 Avril 1960 déclarait déjà que : « Aucun sacrifice ne nous a paru trop grand pour y parvenir… Notre Togo va jouir de son indépendance ».  En plus des sacrifices consentis, les martyrs Africains de Janvier comme la plupart de leurs amis ont déposé un grand espoir aux générations avenir et au futur de l’Afrique. Leur foi n’avait jamais tari. Même quand ils étaient proches du supplice final, ils ont cru en l’Afrique. Lumumba disait ceci dans la lettre qu’il avait envoyée à sa femme avant d’être assassiné : « L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté. » Ernest Ouandié, juste avant de mourir, le 15 Janvier 1971 disait : « D’autres poursuivront le combat ». Ils ont cru en l’avenir de l’Afrique, ils ont cru en la jeunesse et l’ont invitée à ne pas pleurer mais à réfléchir puis à agir (Cf.Lettre à Ouandié ) Le combat a-t-il continué ? Ce sont ces valeurs de patriotisme, de foi en l’Afrique, de travail et surtout de détermination qu’ils nous lèguent.

 

Leur fin tragique mais héroïque se comprend par rapport aux intérêts des puissances coloniales en jeu. En effet, les indépendances que la France voulait étaient des indépendances cadeaux c’est-à-dire octroyées à des élites locales qui, après leur départ, continueront d’extraire les richesses Africaines pour envoyer en occident. Pour « partir pour mieux rester », il fallait de concert avec ces élites de compromis, écarter tous ceux qui voulaient une réelle indépendance. Ces derniers étaient gênants. Ce d’autant plus que la France, la Belgique et le Portugal dépendaient de leurs colonies. En RDC, les intérêts idéologiques et stratégiques en pleine guerre froide ont poussé les Etats-Unis à jouer un rôle très important à travers les services secrets de la CIA. Ceux qui les ont assassinés, malheureusement, ont posé les bases de nos Etas sur des « cranes parents morts pour nous ». N’est ce pas la l’une des raisons fondamentales du retard de l’Afrique ? Une décolonisation ratée ! Ou est la liberté si elle n’est pas conquise ? Peut-on offrir la liberté comme on offre un cadeau ?

 

Ouandié, l’intrus.

 

Les martyrs Africains, il faut le rappeler, n’ont pas été des anges encore moins des saints mais ils ont eu une vie exemplaire. Cela dit le traitement posthume qu’ils ont eu dans leur pays respectif n’a pas été le même. Dans leur présentation plus haut, on peut remarquer que le 17 Janvier, jour de l’assassinat de Lumumba est un jour férié en République Démocratique du Congo après que ce dernier ait été élevé au rang de héros national en 1966 par Mobutu ; le 13 Janvier est un jour férié au Togo et c’est par ailleurs la date de a fête nationale dans ce pays et au Cap vert, en plus des lycées qui portent le nom d’Amilcar Cabral, un aéroport de Sal au Cap vert porte le nom du héros de l’indépendance de ce pays. Mais au Cameroun, après avoir été traité de terroriste par Ahidjo, Ernest Ouandié a été proclamé héros national en 1991 par le régime Biya. Depuis, il est quasiment impossible d’entendre parler du nationaliste Camerounais dans le discours public. Achille Mbembe parle au sujet de Um Nyobe d’un parent mort pour notre nation qui a été banni du discours public. On peut en dire autant de Ernest Ouandié.

 

Tous ces assassinats furent des « actes originaires de cruauté » à l’endroit de parents qui se sont battus pour nous et posent aujourd’hui le problème de la mémoire collective. Autrement dit, a-t-on réussi à ériger ces héros en véritables héros nationaux, modèle par excellence de la construction identitaire de nos nations ? A-t-on continué avec dignité le combat qu’il commencé ?

Si tel n’a pas été le cas, si nous ne les connaissons pas, ceci n’est qu’une ébauche. Rentrons dans les recherches, cherchons à connaitre davantage ces martyrs afin de nous faire une idée d’eux et de vivre les valeurs qu’ils ont vécues afin que l’Afrique puisse, à partir d’elle-même, redéfinir et réinventer sa position dans ce monde si complexe et difficilement contrôlable.

Quant à moi, je  Salue les sacrifiés, les héros, les vaillants soldats qui sont tombés au front pour que tout le peuple vive.

 

 

 

Sources consultées :

 

 Deltombe.T., Domergue.M., et Tatsitsa.T., Kamerun. Une guerre cachée aux origines de la Françafrique : 1948-1971, paris, La découverte, 2011.

Nken.S., L’UPC de la solidarité idéologique à la division stratégique 1948-1962, Paris, Anibwe, 2010.

Vershave.F.X., Françafrique. Le plus long scandale de la République, stock, paris, 1998.

Mbembe.A., Sortir de la Grande Nuit : Essai sur l’Afrique décolonisée, paris, La découverte, 2010.

Mongo Beti, Main Basse sur le Cameroun, paris, Maspero, 1972.

Morel. J., Calendrier des crimes de la France outre-mer, Version 0.51,  14 avril 2005.

 Encyclopédie Wikipédia

 

 

 

NB: Le titre de ce billet est l'hymne à la résistance reprise par Mboua Massock devant la tombe de Ouandié le 15 Janvier 2008. 



24/01/2013
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